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a-t-il tenté dernièrement, avec beaucoup de verve, de se frayer un chemin nouveau dans les Montagnes du Tennessee[1] ; nous sommes un peu blasés sur ces descriptions de paysages abrupts alternant avec des échantillons non moins raboteux de dialecte. Cette forme de littérature a fait son temps, comme les mœurs et les caractères du Camp rugissant, comme la vie de frontière telle qu’elle est décrite dans Rougking it, comme les préjugés créoles contemporains de Madame Delphine. Tout cela est relégué dans le passé de l’Amérique. D’autre part le provincialisme de la Nouvelle-Angleterre, bien curieux à sa façon, nous a été révélé par Aldrich et par Howells. M. Fawcett s’est chargé de dénoncer les sphères mondaines encore toutes neuves à New-York, avec leur esprit d’imitation, leurs puérilités d’emprunt, leurs brutalités d’origine. Que reste-t-il aux romanciers de fraîche date qui s’appellent légion ?

Quelques-uns d’entre eux tournent leurs regards vers l’Europe et y cherchent des inspirations sans grand succès, car ce n’est pas trop d’appartenir à un pays par la race, l’éducation, les dons héréditaires pour pénétrer et rendre fidèlement certains dessous indispensables. Ainsi M. Arthur S. Hardy se pique de connaître Paris, pourtant il a beau donner à plusieurs de ses personnages des noms familiers à notre oreille, des noms trop connus même comme Scherer, de Vigny, de Sacy, etc., énumérer tous les quartiers de notre capitale avec leurs édifices et leurs restaurans, faire entrer le lecteur dans le secret des intrigues politiques qui ont pu naître depuis la guerre de 1870, tramer une conspiration légitimiste d’abord, mettre en scène des membres du clergé catholique, des sœurs de charité, des rédacteurs de l’Univers, il est toujours à côté de son sujet. Ce livre au titre baroque : Une Femme cependant, avec sa bizarre héroïne, la femme en question, qui commence en émissaire de Froshdorf et finit au couvent, ce livre prétentieux, où l’histoire coudoie maladroitement la fantaisie, où Henri V prend la parole. But yet a woman, ne sera, malgré le nombre imposant de ses éditions, un roman parisien que pour ceux des compatriotes de M. Hardy qui n’ont jamais voyagé.


Nous le répétons, un peintre de mœurs s’expose à mainte difficulté en sortant de son pays; seul, M. James s’est toujours tiré victorieusement de l’épreuve. Son observation est plus ou moins intéressante, plus ou moins sympathique, mais elle est toujours juste. La première des trois nouvelles qu’il vient d’intituler collectivement Tales of three cities doit prendre place parmi ses ouvrages les plus achevés. Lady Burberina nous fait finement sentir

  1. In the Tennessee Mountains, C.-E. Craddock, 1 vol.; Osgood, Boston.