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le plus clair de son revenu dans son loyer et dans ses meubles ! Il tient au peuple par toutes ses fibres, et il n’en est que plus puissant.

III.

À côté de l’officier sorti du rang, l’officier breveté des écoles. Après le paysan, le bourgeois de province. Il a son rôle marqué dans la démocratie, mais il faut le bien comprendre.

Il est une classe de la nation qui, depuis plus de deux siècles, semble concentrer sur elle tous les traits de la satire. Molière a ouvert le feu en offrant aux railleries de la cour les Pourceaugnac, les Sotenville, les Escarbagnas, les George Dandin et les Arnolphe qu’il avait rencontrés en poursuivant son roman comique à travers les villes de France. Depuis lors, ces types immortels ne font que changer de costume et de prétentions ; mais toutes les fois qu’ils reparaissent dans leur gaucherie provinciale, une longue fusée de rire les accueille d’un bout à l’autre de la capitale. Le roman de mœurs s’en empare et s’en délecte. On commence par la description d’une petite ville et l’on ne manque pas d’opposer au charme du site les travers des habitans. Plusieurs centaines de volumes peuvent se résumer dans cette phrase de La Bruyère, que Balzac a prise pour épigraphe : « Je me récrie et je dis : Quel plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans un séjour si délicieux !Je descends dans la ville, où je n’ai pas couché deux nuits, que je ressemble à ceux qui l’habitent : j’en veux sortir. » Parfois la critique devient amère et tourne au drame. Le dos rond et débonnaire de M. Bovary, cause première de ses infortunes conjugales, a des conséquences si terribles qu’on en frémit. Plus gai, mais encore plus grotesque, apparaît le défilé des provinciaux ahuris, hébétés, phraseurs solennels, admirateurs maladroits, que la fantaisie des vaudevillistes promène à travers des aventures étourdissantes. Cette veine est tellement inépuisable, le succès si certain, qu’on a vu des écrivains draper leur ville natale pour faire pouffer la galerie, et conquérir leur droit de cité dans les lettres en livrant à la risée publique la petite patrie dont ils imitaient plaisamment l’accent et les rodomontades. Il n’est pas étonnant, après cela, que les jeunes filles refusent de se marier en province et n’aient pas plus de goût que Marianne pour visiter « Madame la baillive et Madame l’élue. »

Au premier abord, la satire a raison. Ce sont toujours les mêmes salons où l’on vous invite fréquemment à garder votre chapeau sur la tête ; les housses éternellement jetées sur des élégances surannées ;