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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

comme la marque d’un sceau, un éléphant blanc à six défenses. L’étoile fondit sur elle et entra dans son flanc par le côté droit[1]. Lorsqu’elle s’éveilla, un bonheur inconnu des mères inonda son être ; et, sur la moitié de l’hémisphère terrestre, une lumière charmante précéda le matin. Les fortes collines reçurent un choc ; les vagues, doucement bercées, s’endormirent ; la joie de la reine pénétra jusqu’aux couches livides et noires de l’espace où flottent les âmes maudites. Ainsi, le soleil darde des frissons d’or dans la sombre épaisseur des forêts. Un tendre soupir s’éleva des profondeurs et courut sur la surface de la terre. Et l’on entendit une voix dire dans un murmure : « Écoutez ! espérez ! le Bouddha est venu ! »

Quand la reine Maya fut prise des douleurs maternelles, elle eut de tels éblouissemens qu’elle ne put rester dans son palais. Soutenue par ses femmes, elle alla s’asseoir dans le jardin royal à l’ombre d’un palsa au large tronc, aux feuilles brillantes. Là, à la lumière du grand jour, près d’un torrent de cristal, elle mit au monde un enfant au front bombé. On le crut mort parce qu’il ne jeta pas un cri quand soudain il ouvrit sur le grand ciel des yeux profonds et tristes.

Le roi Çouddhôdana était au comble du bonheur. Ses devins ordinaires, flatteurs à gage, lui annoncèrent que son fils serait un grand dominateur, qu’il aurait les sept dons : le disque, le joyau, le cheval, l’éléphant, le ministre, le général, la femme gracieuse comme une perle et plus aimable que l’aube. Çouddhôdana, ravi de ces prédictions, appela son fils Siddârtha, ce qui veut dire : prospérant en tout ; et, pour célébrer sa naissance, il ordonna une grande fête. On pavoisa la ville, on arrosa les rues de parfums. De tous côtés accoururent les dompteurs de tigres, les charmeurs de serpens, les hommes déguisés en ours et en daims, les danseurs de corde et les bayadères qui portent à leurs chevilles des clochettes sonnant comme un rire éternel. Au milieu de ce bruit, un anachorète, un saint inconnu, tout couvert de poussière et de ronces, entra dans le palais et se présenta devant le roi. On disait qu’il venait de loin, mais personne ne savait d’où. La reine, en voyant

  1. S’il faut en croire les chélas de l’Inde actuelle qui se donnent pour les disciples de la science ésotérique, les mythes et les légendes auraient presque tous un sens secret connu seulement des initiés. L’étoile à six pointes correspond au signe du double triangle entrecroisé et entouré du cercle, signe qui représente l’évolution matérielle et spirituelle du monde. Ce double triangle se retrouve dans une foule de temples aryens. Ce symbole a passé de l’Inde en Chaldée et en Perse, de là à la cabale et à la magie du moyen âge. Quant à l’éléphant blanc, il signifie dans le bouddhisme ésotérique : un initié. Cela veut dire, selon cette doctrine, que le Bouddha avant sa dernière incarnation avait déjà paru sur la terre comme esprit supérieur, comme sage.