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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

manuscrits bouddhiques originaux, la Triple Corbeille et le Lotus de la bonne loi ; lorsque Eugène Burnouf eut dédié sept années de sa vie à l’étude des soixante-quatre manuscrits que Hodgson envoya à la Société asiatique de Paris ; lorsque, enfin, il publia son admirable Introduction à l’histoire du bouddhisme, on commença à se douter de l’importance d’une religion, qui, malgré sa forme très dégénérée, compte encore aujourd’hui parmi ses adhérens un tiers de l’humanité. Les travaux qui suivirent : ceux de Weber, de Max Muller, de Wassyljew, de Foucaux, de Stanislas Julien et de tant d’autres ont augmenté cet intérêt d’année en année. Actuellement, une armée d’indianistes anglais, allemands et français fouillent les origines du bouddhisme. La doctrine du fondateur, qui n’intéressait d’abord que les érudits, a fini par préoccuper, par inquiéter même les philosophes, les théologiens, les penseurs de notre âge. La figure de Çâkya-Mouni s’est dégagée enfin de la poussière des parchemins, elle est sortie des lamaseries jalouses, et nous nous trouvons en face d’un type dont la noblesse et la grandeur nous rappellent involontairement l’image de Jésus. En même temps, il nous laisse dans l’âme un doute aigu. Car son regard d’ascète, doux et perçant, subtil et profond comme sa doctrine, est de ceux qui posent devant nous avec le plus d’insistance la grande question de l’au-delà : Être ou n’être pas ! Est-il vrai, comme l’a cru jusqu’à présent toute la science occidentale, soutenue par le pessimisme de Schopenhauer et de son école, que le Bouddha ait prêché sa morale sublime pour conclure au néant ? que l’effort prodigieux de sa métaphysique ait pour dernier terme l’extirpation de la vie, l’annihilation de l’âme, l’engloutissement de l’être dans le trou noir du Nirvâna ? — Ou bien, comme le prétendent les partisans de la doctrine ésotérique, ce Nirvâna, qui nous a tant effrayé et fasciné, n’est-il qu’un voile impénétrable aux yeux profanes, transparent aux initiés, qui recouvre les splendeurs d’une immortalité cent fois plus brillante que celle de tous les cieux mythologiques, et d’une évolution spirituelle en harmonie avec toutes les lois de l’univers ?

Ce n’est pas dans une étude historique, c’est dans un véritable poème que M. Edwin Arnold a tenté de résoudre ce problème et de ressusciter le Bouddha avec sa physionomie vivante. M. Edwin Arnold appartient à un groupe d’esprits distingués de l’Angleterre qui se sont passionnés pour l’Inde. Ce groupe ne s’intéresse pas seulement à sa nature, à sa poésie grandiose, aux destinées d’une race qui a survécu à la conquête mahométane et reprend courage en sa renaissance au contact de l’Occident sympathique. Il croit en outre que l’étude approfondie des philosophies et des religions de l’Orient à la lumière du génie aryen n’est pas indifférente pour la so-