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LA LÉGENDE DU BOUDDHA.

pieux anachorètes élèvent de jeunes pénitentes au bord des étangs semés de nymphéas bleus, parmi les cygnes et les antilopes. Telle l’histoire de Sacountala, trouvée dans une de ces retraites par le roi Douchanta. Sacountala est un type tout à fait indou de grâce et de morbidesse dans la passion. L’amour s’enveloppe ici d’une tendresse exquise pour la nature, pour les plantes et les animaux domestiques. La volupté discrète s’avive d’une brise d’ascétisme qui semble souffler des cimes lointaines. Nous sommes dans la vie et dans l’amour, mais le monde du renoncement et de la paix éternelle brille à l’horizon, sans menace, sans envie, comme le sourire du ciel au paradis terrestre. Cette fraîcheur savoureuse et lumineuse, cette largeur de perspective qui, du sein d’une idylle, embrasse tous les horizons de la pensée, séduisit le vieux Goethe et lui fit dire en résumant sa révélation de Sacountala et de l’Inde : « Veux-tu les fleurs du printemps et les fruits de l’automne ? Veux-tu le parfum qui enivre et le mets qui nourrit ? Veux-tu d’un seul mot embrasser le ciel et la terre ? Je te nomme Sacountala et j’ai tout dit[1]. »

Mais l’Inde réservait à l’Europe bien d’autres étonnemens. La publication d’une traduction des Védas, en 1805, devait lui révéler ses propres origines. En comparant les idiomes des principaux peuples de l’Occident à l’idiome védique, on reconnut dans celui-ci le rameau le plus ancien d’un même tronc. Les Perses, les Grecs, les Latins, les Germains, les Celtes et les Slaves descendaient d’une même souche : la fière race aryenne. C’est d’elle que nous viennent la langue, le verbe, l’étincelle divine, toutes les notions premières, qui, malgré des variations infinies, sont restées les colonnes de notre vie morale et intellectuelle. Dans ces Aryas primitifs, dans ce peuple demi-pasteur, demi-guerrier, on reconnut de nobles ancêtres, le véritable berceau de notre civilisation, la source pure et sacrée de la religion et de la poésie. Beaucoup moins développés que l’homme moderne par le raisonnement et par l’intelligence de l’univers physique, ces Aryas avaient dans leur simplicité et leur grandeur une sorte d’intuition directe et sublime du fond de la nature et des choses divines. Leur panthéisme spiritualiste est plein de profondeur. Agni, le feu céleste ou l’éther, était pour eux à la fois le principe de l’âme et de la matière. Le culte du feu devant l’aurore symbolisait le sacrifice de l’âme individuelle devant l’âme universelle par la prière et l’adoration. Ces patriarches-prêtres de famille et de tribu avaient le sentiment de converser familièrement avec des êtres supérieurs qu’ils nommaient les

  1. Une traduction aussi charmante qu’exacte du drame de Calidasa, par MM. Bergaigne et Lehugeur, vient de paraître chez l’éditeur Jouaust.