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et un habile parleur. Trois jours auparavant, il avait réussi à obtenir, après cinq heures de conférence, la capitulation de La Fère, justement qualifiée de honteuse par les officiers de cette garnison. Le colonel de Lowenstern n’avait point, à ce qu’il semble, moins de talent comme négociateur. Les deux officiers parlèrent tour à tour, reprenant les mêmes argumens en termes différens et se prêtant mutuellement appui. Ils commencèrent par exalter la vaillance des défenseurs de la place et de celui qui les commandait. Puis, rappelant à Moreau le petit nombre de ses troupes, l’infériorité numérique de son artillerie, l’insuffisance d’une telle garnison pour défendre un pareil périmètre, le mauvais état des fortifications ; ils firent en même temps le tableau que, hélas ! ils n’avaient point besoin d’exagérer, de toutes les forces alliées. Mertens termina en disant que l’honneur était sauf et que le commandant de la place encourrait les plus graves responsabilités en s’obstinant à une défense désormais inutile, et en exposant ainsi la ville, qui serait immanquablement enlevée de vive force, au pillage et à l’incendie. — « Dans deux heures, reprit Lowenstern, nous serons dans la ville, dussions-nous frayer un passage sur les ruines et les cadavres. Réfléchissez que dans une bataille, on reçoit les vaincus à composition, mais qu’après l’assaut tout tombe sous le sabre. La ville et ses habitans seront la proie de nos soldats. » — Les deux parlementaires agissaient successivement par la flatterie et l’intimidation[1]. Moreau, qui ne pouvait pas moins faire, répondit d’abord, selon la formule obligée, « qu’il s’enterrerait sous les ruines de ses remparts, » mais Mertens et Lowenstern ne furent pas déconcertés par ces grands mots, que démentaient l’attitude irrésolue et les hésitations trop visibles de Moreau. Ils reprirent la parole et, donnant de nouveaux éloges au courage des troupes françaises, ils eurent l’habileté de laisser entendre qu’une capitulation avec tous les honneurs de la guerre serait accordée à cette valeureuse garnison, qui se retirerait en aires et serait libre de rejoindre l’armée impériale « où elle pourrait combattre dans une lutte moins inégale[2]. »

C’était un piège tendu à l’esprit de devoir du général. Il est probable que si les clauses de la capitulation avaient été trop dures, si elles eussent porté, par exemple, que la garnison resterait prisonnière de guerre ou tout au moins déposerait les armes,

  1. Bogdanowitch, t. I, p. 305-306. Cf. Plotho, t. III, p. 390 ; Rapports de Bulow et de Moreau sur la capitulation de Soissons ; Muffling, Aus meinem Leben, p. 125 ; et le Manuscrit de Brayer.
  2. Bogdanowitch, t. I, p. 306. Cf. le Rapport de Moreau et la Lettre justificative. (Archives de la guerre.)