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groupe de cavaliers russes qui s’était avancé à 300 mètres de la porte de Reims. Winzingerode envoya alors un parlementaire. Cet officier n’ayant point été reçu, les batteries ennemies ouvrirent le feu. Les défenseurs ripostèrent vigoureusement. Il y avait parmi les artilleurs de la garde un Soissonnais, nommé François Leroux, si habile pointeur qu’il démonta successivement trois des pièces de l’ennemi[1]. Mais quelles que fussent l’adresse et l’intrépidité des canonniers français, ce duel d’artillerie n’était point égal. Plus de trente pièces de 12 battaient les remparts, et la défense n’avait que vingt canons, dont dix de 4. A midi, plusieurs pièces des bastions étaient déjà démontées et un certain nombre de servans mis hors de combat. Vers trois heures, une forte colonne russe franchit la petite rivière de la Crise et s’élance à l’attaque des remparts. Quelques volées de mitraille et une furieuse mousqueterie arrêtent les assaillans. Kozynski, avec 300 Polonais, sort de la ville, charge l’ennemi et le repousse la baïonnette dans les reins jusqu’au faubourg Saint-Crépin. Là, les Russes font tête, leurs tirailleurs postés dans les maisons. Une dernière charge les débusque de la position et les rejette loin dans la plaine. Quelques instans plus tard, l’ennemi tenta une seconde attaque qui n’eut pas plus de succès. Le bombardement reprit et ne s’arrêta qu’à dix heures du soir. La journée, où artilleurs et fantassins s’étaient vaillamment comportés, coûtait à la petite garnison de Soissons 23 morts et 120 blessés. Parmi ceux-ci, on comptait plusieurs officiers, entre autres le colonel Kozynski, atteint d’une balle en conduisant ses hommes à l’attaque du faubourg Saint-Crépin[2]. L’ennemi avait aussi perdu beaucoup de monde, mais en raison du grand nombre de ses troupes, ces pertes ne l’affaiblissaient pas sérieusement.

Winzingerode néanmoins ne laissait pas d’être inquiet. Les choses ne marchaient point de la façon qu’il aurait voulu. La garnison faisait trop bonne contenance pour qu’on pût espérer emporter la place par un coup de main, comme cela s’était passé le 14 février; d’autre part, après douze heures continues de bombardement, on n’avait pas fait brèche. La muraille était à peine entamée, et quand cela eût été, une forte gelée, soudain survenue, rendait la terre de la masse couvrante dure et résistante comme de la pierre. Il faudrait battre le rempart douze heures encore, trente-six peut-être pour faire une brèche praticable[3]. Au plus tôt pourrait-on donner l’assaut le

  1. Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons.)
  2. Rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons et lettre justificative. (Archives de la guerre.) — Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons.)
  3. Rapport de la commission d’enquête sur la capitulation de Soissons, 24 mars. (Archives de la guerre.)