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point que l’explosion de quelques fourneaux de mine établis sous les piles suffiraient à disloquer le pont et à couper le passage[1].

Moreau croyait avoir du temps devant lui, et déjà Soissons était entouré d’ennemis. Le 1er mars, Moreau réitérait sa demande au ministre de la guerre de 400 livres de poudre de mine ; le 2 mars, il écrivait encore pour demander deux compagnies de renfort. Mais ces dépêches ne témoignent pas que Moreau se préoccupe le moins du monde de la proximité de l’ennemi. Il y parle même, comme de faits sans aucune importance, d’un parti de hussards prussiens enlevés par une reconnaissance de cavalerie et de l’arrivée dans l’Aisne du général Bulow, « qui est, dit-on, du côté de Laon[2]. » Moins d’une heure après avoir écrit cette lettre, Moreau allait savoir autrement que par des on-dit où était le général Bulow.

Ce jour-là, 2 mars, à 9 heures du matin, les grand’gardes signalèrent en même temps des masses ennemies qui s’avançaient de deux côtés différens. Sur la route de Reims, c’étaient les Russes de Winzingerode ; sur la route de Laon, c’étaient les Prussiens de Bulow. On sait que ces deux généraux avaient concerté cette marche sur Soissons ; ils arrivaient sous les murs de la ville au jour fixé et à l’heure dite avec une exactitude vraiment remarquable. Moreau fit prendre les armes. Les canonniers coururent aux bastions. Les Polonais du bataillon de la Vistule furent divisés en trois détachemens : l’un vint occuper les remparts du front sud; l’autre les remparts du front est; le troisième, comptant seulement une centaine d’hommes, forma avec les 100 cavaliers de la garde et la garde nationale une réserve qui se tint au centre de la ville, prête à se porter sur le point le plus menacé. Pendant que la petite garnison gagnait ses emplacemens de combat, l’ennemi faisant à dessein montre de ses forces, se déployait dans la plaine. Le corps de Winzingerode s’étendait, à cheval sur la route de Reims, sa droite à l’Aisne. Bulow avait rangé ses troupes en bataille dans la plaine de Crouy, face au faubourg Saint-Vaast[3].

Le premier coup de canon fut tiré par la place. A dix heures et demie, un boulet lancé du bastion Saint-Médard vint disperser un

  1. Archives de la guerre : Lettre de Clarke à Moreau, 27 février; Lettres de Moreau à Clarke, 28 février et 2 mars; Lettre du chef de la 5e division du ministère de la guerre à Saint-Hillier, 2 mars. Cf. le Rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons (4 mars), le Rapport du conseil d’enquête, et les manuscrits des Archives de Soissons.
  2. Moreau à Clarke, 1er et 2 mars. (Archives de la guerre.)
  3. Rapport de Moreau, 4 mars. (Archives de la guerre.) Manuscrit de Brayer Archives de Soissons;. Rapport de Bulow au roi de Prusse sur la capitulation de Soissons, 10 mars 1814. (Archives de Berlin.) Cf. Bogdanowitch, t. I, p. 304 ; Plotho, t. III, p. 288,