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au maximum, à la moitié du produit, si le propriétaire fournit les bâtimens, le bétail et les instrumens aratoires ; au tiers, trétina, si le capital d’exploitation appartient au cultivateur. Celui-ci doit, en tout cas, livrer la moitié du foin au domicile du maître. Mais d’autre part, celui-ci doit supporter le tiers de l’impôt sur les maisons (verghi). La dîme qui revient à l’état est d’abord déduite. Dans les districts peu fertiles, le raya paie seulement, le quart, le cinquième ou même le sixième du produit. Tant que le tenancier remplit ses obligations, il ne peut être évincé ; il n’est pas attaché à la glèbe ; il est libre de quitter ; seulement en fait, où irait-il et quel est le propriétaire musulman qui voudrait recevoir le déserteur? Les chrétiens pouvaient, il est vrai, acquérir les biens-fonds : mais c’était une faveur illusoire ; les begs ne leur laissaient pas de ressources suffisantes pour en profiter.

Ce règlement aurait dû mettre fin aux souffrances des tenanciers, car il établissait un régime agraire qui n’est autre que le métayage en vigueur dans le midi de la France, dans une grande partie de l’Espagne et de l’Italie et sur les biens ecclésiastiques en Croatie sous le nom de polovina. En réalité, le sort des infortunés kmets devint plus affreux que jamais. Exaspérés des garanties accordées aux rayas, dans lesquelles ils voyaient une violation de leurs droits séculaires, les propriétaires musulmans dépouillèrent et maltraitèrent plus impitoyablement que jamais les paysans, qui n’avaient de recours ni auprès des juges, ni auprès des fonctionnaires turcs, tous mahométans et hostiles. Les rayas bosniaques cherchèrent de nouveau leur salut dans l’émigration. On se rappelle les scènes de ce lamentable exode qui émurent toute l’Europe en 1873 et en 1874. Les Herzégoviniens, plus énergiques et soutenus par leurs voisins les Monténégrins, se soulevèrent, et ainsi commença la mémorable insurrection, d’où sont sortis les grands événemens qui ont si profondément modifié la situation de la péninsule.

L’exposé de la législation agraire ne donne aucune idée des effets qu’elle produisait, par suite de la façon dont elle était appliquée. Je crois donc utile de faire connaître avec quelques détails la condition des rayas en Bosnie, pendant les dernières années du régime turc, pour deux motifs: d’abord pour montrer qu’il n’est pas un homme de bien, à quelque nationalité qu’il appartienne, qui ne doive bénir l’occupation autrichienne ; en second lieu, pour faire comprendre quel est actuellement le sort des rayas de la Macédoine, que la Russie avait affranchis, par le traité de San-Stefano, et que lord Beaconsfield a remis en esclavage, aux applaudissemens de l’Europe aveuglée. En écrivant ceci, je reste fidèle aux traditions de la Revue, où Saint-Marc Girardin n’a cessé de défendre avec une admirable éloquence, une prévoyance éclairée et une connaissance