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mais en même temps il méprise et hait le raya chrétien, qui est le travailleur. Il le dépouille, le rançonne, le maltraite sans pitié, au point de ruiner complètement et de faire disparaître les familles de ceux qui seuls cultivent le sol. C’est l’état de guerre continué en temps de paix et transformé en un régime de spoliation permanente et homicide. L’épouse musulmane, même quand elle est unique, est toujours un être subalterne, une sorte d’esclave privée de toute culture intellectuelle, et comme c’est elle qui forme les enfans, filles et garçons, on en voit les funestes conséquences. Aux désastreux effets de l’islam il y a une exception, et elle est éclatante. Dans le midi de l’Espagne, les Arabes ont produit une civilisation merveilleuse : agriculture, industrie, sciences, lettres, arts ; mais tout cela venait directement de la Perse, de Zoroastre, non de l’Arabie de Mahomet. Ce qu’on appelle l’architecture arabe est l’architecture persane. A mesure que l’action de l’islam a remplacé celle du mazdéisme, la Perse et toute l’Asie-Mineure ont décliné. Voyez ce que sont devenus aujourd’hui ces édens du monde antique !

Près de la mosquée se trouve le turbé ou chapelle qui renferme les tombeaux du fondateur Usref-Beg et de sa femme et le médressé ou école supérieure, dans laquelle des jeunes gens étudient le Koran, ce qui leur permettra, en leur qualité de savans, de devenir des softas, des ulémas, des kadis, des imans ; chacun d’eux a une petite cellule où il vit et prépare ses repas. Ils sont entretenus par le revenu des vakoufs. Près de là, je visite le bain principal, non occupé en ce moment. Il est formé d’une série de rotondes surmontées de coupoles, recouvertes extérieurement de feuilles de plomb où sont incrustés de nombreux disques de verre très épais, qui éclairent l’intérieur. Il est assez proprement tenu et il est chauffé par des canaux maçonnés souterrains, comme les hypocaustes romains. Obéissant aux prescriptions hygiéniques de leur rituel, les musulmans ont seuls conservé cette admirable institution des anciens. Les plus petites bourgades de la péninsule balkanique, qui ont des habitans mahométans, ont leur bain public, où les hommes, même les pauvres, vont très souvent, et où les femmes sont tenues de se rendre au moins une fois par semaine, le vendredi. Quand les musulmans s’en vont, les bains sont supprimés. A Belgrade, ils ont disparu ; à Philippopoli, le bain principal est devenu le palais de l’assemblée nationale. Il faudrait au moins garder des Turcs ce qu’ils avaient créé de bon, d’autant plus qu’ils n’ont fait que nous transmettre ce qu’ils avaient hérité de l’antiquité.

Je me rends chez le consul d’Angleterre, M. Edward Freeman, pour qui lord Edmond Fitz-Maurice m’a donné une lettre d’introduction du foreign office. Je le rencontre revenant de sa promenade à cheval