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contraste avec les belles récoltes des environs de Djakovo I Les quatre cinquièmes des champs sont en jachère. On ne voit presque pas de froment : toujours du maïs et un peu d’avoine. Des cultivateurs en retard labourent encore en ce moment, — premiers jours de juin, — pour semer le maïs. La charrue est lourde et grossière, avec deux manches et un très petit soc en fer. Le fer est épargné partout ici ; il est rare et cher. C’est l’opposé de notre Occident. Quatre bœufs maigres ouvrent avec peine un sillon dans une bonne terre de franche argile. Une femme les conduit et les excite d’une voix rauque. Elle porte, comme en Slavonie, la longue chemise de gros chanvre ; mais elle a une veste et une ceinture noires, et sur la tête un mouchoir rouge, disposé comme le font les paysannes des environs de Rome. L’homme qui conduit la charrue est vêtu de bure blanche. Son énorme ceinture de cuir peut contenir tout un arsenal d’armes et d’ustensiles, mais il n’a ni yatagan ni pistolet. C’est un raya, et d’ailleurs le port d’armes est aujourd’hui défendu à tous. De longs cheveux jaunâtres s’échappent d’un fez rouge, qu’entoure une étoffe blanche roulée en turban. Sous un nez aquilin se dessine une fière moustache. Il représente le type blond, assez fréquent ici.

Voici Doboj. C’est le type des petites villes de Bosnie. A distance, l’aspect en est très pittoresque. Les maisons blanches des agas, ou propriétaires musulmans, s’étagent sur la colline, parmi les arbres. Une vieille forteresse, qui a soutenu bien des sièges, les domine. Trois ou quatre mosquées, dont une en ruines, chose rare en ce pays, dressent comme une flèche d’arbalète leurs minarets aigus. On arrive à Doboj en traversant la Bosna, par un pont de construction autrichienne. Une route importante, partant d’ici, mène en Serbie, par Tuzla et Zwornik. Des musulmans, sombres et fiers sous leurs turbans rouges, arrivent prendre le train. Ils enlèvent et emportent leurs selles du dos des chevaux des paysans, qu’ils ont loués au prix habituel de 1 florin (2 fr. 10) par jour. Grand émoi: le général d’Appel, gouverneur militaire de la province, arrive avec son état-major, après avoir fait une tournée d’inspection dans les province de l’Est. On le salue avec le plus profond respect. Il est ici le vice-roi. J’admire la tournure élégante, les charmans uniformes et la distinction de manières des officiers autrichiens.

Le train s’arrête à Maglaj, pour le dîner des voyageurs. Cuisine médiocre ; mais il y a de quoi se nourrir, et l’écot est peu élevé : un florin, y compris le vin, qui vient de l’Herzégovine. La Bosnie n’en produit pas. Maglaj est plus important que Doboj : les maisons, avec leurs façades et leurs balcons en bois noirci, escaladent une colline assez raide, coupée en deux par une petite vallée profonde et verdoyante : dans les jardins, des cerisiers et des poiriers