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défenseur de toutes les influences cléricales ; elle n’a pas tardé à se tourner également contre le ministre de l’intérieur, M. Romero Robledo. Elle a évidemment acquis plus de force par les succès qu’elle a obtenus il y a quelque temps dans les élections municipales de Madrid, et il est clair que, dans ces conditions, un incident suffit quelquefois pour décider tout au moins un commencement ou une apparence de crise. L’incident a été le choléra qui ravage quelques provinces de l’Espagne, notamment les provinces de Murcie, de Castellon, de Valence, d’Alicante et qui a même fait son apparition à Madrid.

De quoi accusait-on le ministère ? On ne pouvait pas apparemment lui reprocher d’être le propagateur du choléra ; mais voici où la question s’est compliquée et est devenue politique. Le roi Alphonse, dans un mouvement de généreux courage, a voulu se rendre avec la reine à Murcie, au milieu de ces populations si cruellement éprouvées. Le ministère n’a pas cru pouvoir approuver le voyage. Quelques-uns des membres du cabinet proposaient de se rendre eux-mêmes à Murcie, et M. Canovas del Castillo, M. Romero Robledo, y sont allés depuis effectivement ; mais ils se disaient que si le roi allait à Murcie, il ne pouvait se dispenser de visiter les autres populations victimes du fléau, et qu’il y avait là dès lors une trop grave responsabilité de gouvernement pour qu’ils pussent l’accepter. Ils n’ont même pas hésité à donner un instant leur démission. Les ministres devaient bien avoir quelque raison, puisque les chefs de l’opposition, M. Sagasta tout le premier et le général Lopez Dominguez, appelés en consultation, n’ont pas voulu approuver le voyage royal. Le ministère n’a pas moins été l’objet des plus violentes attaques, et pour avoir détourné le roi de son généreux dessein, et pour avoir retiré sa démission après l’avoir donnée un moment. Ses adversaires ont même trouvé un appui dans la population de Madrid, saisie de panique à l’approche du fléau, et jusque dans les classes commerçantes, qui ont fait un crime au gouvernement d’avoir annoncé la présence du choléra dans la capitale de l’Espagne. Tout cela ne laisse point en vérité d’être un imbroglio assez bizarre, qui s’est même bientôt compliqué d’une péripétie nouvelle.

Le roi s’était résigné, ou du moins il avait paru s’incliner devant l’opinion de ses ministres et des principaux chefs de l’opposition, lorsqu’on a tout à coup appris qu’Alphonse XII, n’ayant pu aller à Murcie, s’était rendu à Aranjuez, où le choléra venait d’apparaître et faisait déjà de cruels ravages. Le jeune souverain était parti un matin avec un de ses aides-de-camp, sans rien dire, sans prévenir les ministres, sans avertir la reine elle-même de son départ ; il était allé simplement, bravement visiter les malades, secourir les pauvres, relever tous les courages dans la résidence royale visitée par le fléau. Les inspirations généreuses ont toujours raison, et le roi Alphonse, à son retour d’Aran-