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créée et maintenue entre l’empire des Indes et les possessions russes, de ce rôle de tampon réservé à l’Afghanistan entre les deux puissances asiatiques. L’Angleterre ne songerait plus qu’à se retrancher sur son territoire, à organiser a par des préparatifs soigneusement combinés et énergiquement exécutés » la défense de sa propre frontière, sans se fier à des traités souvent trompeurs ou aux volontés mobiles des souverains de ces contrées.

C’est une politique qui a été quelquefois proposée, surtout dans ces derniers temps ; elle devient à peu près officielle par les déclarations de lord Salisbury, qui pense même que ce sera désormais la politique de tous les partis, et il n’est pas probable que la Russie voie avec déplaisir cette résolution de l’Angleterre. Dans ces termes, la paix semble à peu près assurée entre les deux puissances, et les négociations momentanément interrompues par un deuil de M. de Giers ne peuvent avoir qu’un résultat favorable. Ce sera une trêve qui durera tant qu’elle pourra. Lord Salisbury, sans être moins sincère, est plus réservé au sujet de l’Egypte, et, par une allusion ironique à ses prédécesseurs, il avoue que le mieux est de ne se point hâter, de « peser ses démarches pour n’avoir pas à les rétracter. » Il ne se dissimule pas tout ce que le problème a de complexe, tout ce qui reste à faire pour opposer une barrière aux bandes du mahdi, pour replacer l’Egypte dans les conditions où elle était à l’époque du débarquement des Anglais, — ce qui est un singulier aveu, — pour reconstituer un ordre régulier, pour résoudre les difficultés financières. Il ne conteste pas non plus le caractère international de l’Egypte, le droit de l’Europe, il réserve cette partie de la question, et, ce qu’il y a de plus clair en définitive, c’est que le nouveau ministère anglais croit avoir besoin de beaucoup de temps ; mais il s’agit précisément de savoir s’il aura tout le temps qu’il réclame.

La vérité est que, pour le nouveau ministère anglais, tout dépend de ces élections qu’il a devant lui à courte échéance, qui sont désormais le rendez-vous décisif des partis. Il n’a pas, d’ailleurs, la faiblesse de paraître reculer devant cette épreuve inévitable. Il l’accepte loyalement ; seulement il est certain que la situation est sérieuse pour lui, et peut-être d’autant plus difficile que les libéraux ont quitté le gouvernement sans avoir été réellement vaincus, qu’ils sont prêts aujourd’hui à se jeter dans la lutte avec toutes leurs forces, en se flattant d’avance de conquérir les millions d’électeurs auxquels ils viennent de donner le droit de vote. Les libéraux étaient assez divisés au pouvoir ; ils semblent se rapprocher maintenant sous la direction de leur vieux chef, M. Gladstone lui-même, qui, malgré son âge et la fatigue qui semblait le gagner aux derniers jours de son ministère, ne parait nullement disposé à se retirer du combat. M. Gladstone, par un sentiment