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verveine, Brunehild vient redire à Sigurd l’aveu qu’elle lui fit au jour de son réveil. Avec une noblesse, avec une chasteté d’immortelle, elle lui parle d’amour, mais d’amours plus élevés que les amours de la terre. Deux fois elle détache des fleurs de son front et les jette à la fontaine : deux fois reparaît dans l’orchestre une phrase caressante et mélancolique. L’accent de ce duo n’est ni passionné ni voluptueux ; il est mieux que cela. Il exprime une tendresse plus sereine et plus pure, pas très humaine peut-être, mais tout près d’être divine. Plus d’une page de Sigurd est honorable ; celle-là est presque glorieuse et nous avons plaisir à finir par elle.

L’interprétation de Sigurd est satisfaisante. On a fait très bon accueil à Mme Caron, qui chante le rôle de Brunehild, à Paris, parce qu’elle le chantait et comme elle le chantait à Bruxelles. Ni les proportions de la scène ni celles de la salle ne l’ont écrasée. A l’Opéra comme à la Monnaie, elle a la même noblesse élégante : beaucoup de charme dans la voix et surtout de simplicité dans le style. Elle dit avec une tendresse pénétrante et avec une dignité qui ne messied pas, la phrase du réveil, et surtout la délicieuse cantilène du quatrième acte. Elle comprend les nuances et les fait comprendre. M. Sellier les comprend mieux qu’autrefois, mais pas encore assez. Qu’il écoute sa partenaire et qu’il tâche de mettre, à son exemple, un peu de grâce, un peu de caresses dans son chant. A des voix comme la sienne on peut tout demander, parce qu’elles pourraient tout donner. M. Lassalle a tout donné ! Il est parfait dans Gunther comme il l’était jadis dans le Scindia du Roi de Lahore. Avec lui, ces rôles tout en dehors prennent un relief à la fois très fort et très élégant. Sa voix incomparable peut s’y épancher et comme s’y étaler sans contrainte. Mme Bosman, MM. Gresse et Berardi complètent un ensemble très convenable.


CAMILLE BELLAIGUE.