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priant leurs dieux terribles : « Teutatés veut du sang ; il a parlé dans le chêne des druides, » chante la Velléda des Martyrs. Ici, l’hymne est moins farouche que solennel. Cet épisode est une très belle page : le chant du grand prêtre est une magnifique invocation. Et puis il y a dans cette scène le mystère, un peu de l’effroi des forêts : Horror inest. Le bois tout entier est harmonieux ; il s’emplit de sonorités lointaines ; les cors, les bassons prolongent de graves échos sous la voûte des arbres. L’idée religieuse et l’idée de la nature se mêlent et donnent l’impression d’un panthéisme grandiose.

L’entrée de Sigurd et de ses compagnons est émouvante ; trois fois leur appel retentit au-dessus des chœurs et des ensembles qui se succèdent avec rapidité. Un cri surtout de Sigurd est pénétrant : J’ai gardé mm âme ingénue ! La phrase du chaste guerrier est pure et brillante comme l’acier de son glaive. Plus pure encore est la romance de Sigurd resté seul. Au. moment de tenter l’épreuve redoutable, mortelle peut-être, il se souvient de Hilda. C’est pour la mériter qu’il va combattre ; c’est son nom qu’il veut apprendre à toutes les voix de la forêt enchantée. Voilà un de ces rayons dont nous signalions plus haut la sereine clarté. La grâce a plus de prix chez les forts et cette suave cantilène ressemble au sourire d’un héros. Elle est écrite dans une tonalité charmante et monte sans peine aux notes hautes de ténor, les plus belles peut-être de la voix humaine.

La scène fantastique, plus favorable à la décoration qu’à la musique, fait cependant quelque honneur, même au musicien Sa lâche était ingrate. En pareille occurrence, le public regarde, mais écoule mal, fût-ce Weber lui-même, le Weber de la Fonte-des-Balles et de la Gorge-aux-Loups. Il y a beaucoup à louer dans ce second acte de Sigurd. Voici Brunehild endormie : un beau chant d’orchestre berce son sommeil. Sous l’épée du héros la vierge ouvre les yeux et son premier hymne à la vie, au jour retrouvé, s’il manque un peu d’originalité, ne manque ni d’élan, ni d’expansion. Elle aperçoit Sigurd et le remercie d’un mot, mais avec quelle grâce et quelle noblesse ! La Walkyrie est ta conquête ! murmure-t-elle en venant à lui. La mélodie est pleine à la fois d’abandon et de dignité, aussi tendre, mais plus grave que le salut de la Belle de Perrault à son réveil : « Est-ce vous, mon prince ? Vous vous êtes bien fait attendre. »

Le troisième acte est le moins bon : les défauts de M. Reyer y ressortent plus que ses qualités. le chœur invisible du début a quelque poésie, et la phrase de Gunther apercevant Brunehild à travers le feuillage est d’un beau jet ; M. Lassalle, d’ailleurs, la fait valoir à merveille. Mais le duo qui suit est long et vide. Le second tableau, si rempli qu’il paraisse, n’est que surchargé. Les chœurs de fête sont pesans, rythmés par des cymbales vulgaires. Plus que partout ailleurs, l’œuvre est