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grandes entreprises, des propriétés importantes réclament, de ne pas interrompre longtemps leur activité dont le pays a besoin. Et il ne faut pas croire que ce privilège soit réservé à la richesse. Quand le volontariat d’un an a été établi, il s’est trouvé en grand nombre des artisans, des domestiques même prêts à payer 1,500 francs pour prix d’une réduction dans la durée du service. Quand le remplacement ou l’exonération existaient, toutes les professions, même les plus humbles, profitaient de la faveur offerte. Des combinaisons multiples permettaient à chacun de s’assurer par des versemens minimes le prix d’un homme si le sort lui était contraire. Les sociétés d’assurance se sont multipliées, et rien n’est favorable au pauvre comme ces institutions qui lui demandent seulement la constance dans l’épargne pour lui constituer, avec les plus faibles ressources multipliées par le temps, un capital. A supposer qu’un remplaçant coûte dans l’avenir 3,000 à 4,000 francs, tout père de famille pourra, en versant à la naissance de son fils 250 à 325 francs, s’assurer que ce fils, après le tirage, aura, si son numéro le destine au service de cinq ans, la somme nécessaire à offrir à un substituant. Ce père est-il trop pauvre pour donner d’un coup quelques cents francs, il peut constituer le même avoir à son fils par des versemens de 5 à 6 francs par trimestre[1]. Les facilités sont telles que non-seulement le bourgeois, mais l’ouvrier, non-seulement l’ouvrier dont le métier est un art et qui gagne 10, 15 ou 20 francs par jour, mais quiconque ne consomme pas chaque jour la totalité de son salaire est en situation de payer cette assurance. Toutes les carrières qui offrent à l’homme le moyen de vivre, brillantes ou humbles, lui donnent le moyen de se prémunir contre le long chômage du service militaire. Les pauvres comme les riches se feront remplacer, les pauvres plus que les riches y auront intérêt, car cinq ans passés sous les drapeaux n’ôteraient aux uns ni leur état dans le monde ni leur fortune, et, en enlevant aux autres l’habitude du métier où peut-être ils excellent, elle les frapperait dans leur existence même.

  1. Ces calculs ont été faits d’après les tarifs des compagnies d’assurance. Ces tarifs établissent quel capital il faut verser à la naissance d’un enfant, ou quelles primes annuelles il faut payer pour qu’une somme de 3,000 à 4,000 francs lui soit acquise à vingt ans, s’il atteint cet âge. Le capital est de 1,010 à 1,264 francs ; la prime annuelle, de 85 à 106 francs. En moyenne, sur 300,000 conscrits qui arrivent chaque année à vingt ans, 80,000 seulement sont désignés pour le service de cinq ans. Donc le quart seulement de ceux qui, assurés, auraient droit au capital de survie, aurait droit au capital de remplacement. La chance de payer étant quatre fois moins forte pour les compagnies, les sommes et les primes à verser par les assurés doivent être réduites des trois quarts. Ainsi s’établissent les chiffres cités et dont l’exactitude a été contrôlée.