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l’instruction, soit l’éducation militaire, on aboutit donc à ce résultat que le temps de service ne doit pas être le même pour tous les soldats. Aux troupes de remplacement et aux services auxiliaires l’éducation n’est pas indispensable, et une instruction de six mois suffit. Les services auxiliaires forment 20 pour 100, et les troupes de remplacement 30 pour 100 de l’effectif. Les troupes de combat, auxquelles l’éducation et par suite le service de cinq ans sont indispensables, forment l’autre moitié. D’où cette conséquence, que le contingent doit être divisé en deux parts égales : l’une appelée à servir six mois, l’autre cinq ans.


II

Quel pouvoir désignera les soldats pour l’une ou l’autre de ces destinées si différentes ? Un seul est assez impartial, assez irresponsable : le sort. Mais il est aveugle aussi. Il peut appeler pour six mois les hommes les plus incapables de former les corps auxiliaires et les plus disposés au métier des armes, il peut appeler pour cinq ans les hommes dont les professions trouveraient dans les services techniques un emploi utile, et auxquels un long séjour sous les drapeaux est insupportable. Comme il ne tient compte ni des volontés ni des aptitudes, le sort apporte du désordre dans les services et du mécontentement dans les esprits. L’armée serait plus forte si chaque homme était mis à la place pour laquelle il est fait, et en l’occupant obéissait à son propre choix. Qu’entre les conscrits retenus dans l’armée pour cinq ans et désireux d’en sortir après six mois, et les conscrits libérables après six mois et résignés à demeurer cinq ans, l’entente s’établisse, et qu’ils prennent la place les uns des autres, leur libre arbitre aura diminué la part d’injustices et de maux que traîne après soi le hasard.

Beaucoup d’idées justes sont compromises par la mauvaise renommée d’un mot. L’acte qu’on vient d’indiquer s’appelle le remplacement. Le remplacement existait dans l’ancienne armée. Comme alors une partie de la jeunesse française devait seule le service militaire, le remplacé passait au nombre de ceux qui ne portaient les armes ni en paix ni en guerre. Une guerre vint où ces bras immobiles manquèrent à la défense de la patrie. Au moment où l’assemblée nationale proclamait comme la leçon de la défaite le service universel, le remplacement lui apparut tel qu’il était la veille encore, le droit pour des Français de rester neutres entre leur pays et ses ennemis. Si dans l’armée nouvelle comme dans l’armée ancienne le remplacement avait dispensé d’être soldat, elle eût bien fait de refuser ce privilège à la lâcheté. Mais avec l’excès habituel aux passions nouvelles, l’assemblée interdit le remplacement pour