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courte, il songe à en sortir ; quand il la sait longue, il songe à y vivre. Que la servitude militaire occupe une part considérable de sa vie, alors seulement il prendra son parti d’oublier et d’apprendre. Il abandonnera à l’entrée de sa carrière nouvelle ses idées anciennes avec le vêtement apporté du dehors. Il essaiera de prendre goût à ce qu’il fait ; il en comprendra l’importance et par cela même la dignité ; une estime nouvelle de lui-même lui révélera autour de lui des raisons d’estimer les autres ; la camaraderie l’entourera de ses liens à la fois rudes et doux et l’élèvera peu à peu jusqu’à l’esprit de corps. Quand il respectera sa profession, il sera capable de voir ce qui rend ses chefs dignes de confiance ; quand il les jugera grands, il sera prêt à les suivre où qu’ils le conduisent.

Quelle est la durée nécessaire pour accomplir cette transformation ? A des époques où la France était plus obéissante et plus militaire, le service de sept ans semblait nécessaire. La faute a été grande de l’abandonner. Mais cette faute a été commise en 1868, confirmée en 1872. Un retour vers le passé est au-dessus des courages. Il y a des époques dont il ne faut pas attendre qu’elles réparent rien : ne pas aggraver le mal est le seul bien dont elles soient capables. Force est donc de s’en tenir à la loi de 1872. Cinq ans peuvent être acceptés comme strictement suffisans, à la condition expresse que ces cinq ans soient effectifs, et que le droit abusif de renvoyer les classes par anticipation soit enlevé aux ministres.

Si trois ans de service sont une charge insupportable pour les finances et pour les carrières, que faudrait-il dire du service de cinq ans ? Mais, de même que tous dans l’armée n’ont pas besoin d’un temps égal pour s’instruire, tous n’ont pas besoin de posséder à un égal degré l’éducation.

Elle est nécessaire pour préparer au devoir du combat. Les soldats des services auxiliaires n’ont pas à le remplir. Ce ne sont pas eux qui se heurtent dans les chocs suprêmes où la nation entière avance ou recule avec chacun de ses champions. Dans les troupes auxiliaires, la plupart exercent leur métier hors de la zone dangereuse, et ceux qui s’en approchent le plus demeurent encore à distance, de la mêlée. Peu menacés par les balles, ils n’ont guère à craindre que les coups égarés de l’artillerie. Ils n’éprouveront donc pas dans l’accomplissement de leur tâche ce trouble que donne aux âmes trop neuves l’imminence du péril, et pour braver des risques médiocres une vertu ordinaire leur suffit. Un seul service, celui des ambulances, expose, à l’égal des combattans, ceux qui vont dans le feu ramasser les blessés. Mais cette œuvre de miséricorde sera confiée aux jeunes hommes dont la carrière est de soigner et de guérir. S’il faut ailleurs un égal dévoûment, on le trouvera chez les jeunes hommes qui aspirent au sacerdoce. Leur vocation révèle