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et royale, capitale du monde par la vertu du siège sacré du bienheureux Pierre, tu commanderas plus loin par la religion divine que tu n’as commandé par la domination terrestre[1] ! » Le pape se trompe : ce n’est pas saint Pierre qui a fait la fortune de Rome, c’est Rome qui a fait la fortune de saint Pierre. Le successeur de l’apôtre établi dans ce lieu de commandement, que la longue obéissance et l’admiration des hommes ont consacré, deviendra le chef d’un nouvel empire universel. Tandis que les barbares, Ostrogoths, Wisigoths, Burgondes vivent chacun chez eux et semblent inaugurer le système moderne des nations distinctes, le clergé catholique refait une patrie commune ; alors que tout semble se décomposer, il prépare la reconstitution de l’unité ; mais la patrie commune sera la patrie ecclésiastique, et l’unité, celle de l’église.

Les rois de la Germanie émigrée se sont donc trompés. Ils se sont faits aussi Romains qu’ils le pouvaient. Le Wisigoth Théodoric a lu Virgile pour apprendre à faire des vers latins, et il a reçu des notions de droit romain. Le Burgonde Gondebaud, au témoignage de l’évêque Avitus, a une « âme philosophique ; » mais il ne s’agit plus de Virgile, de droit romain, ni de philosophie : il s’agit d’être orthodoxe et de s’entendre avec les évêques, sous peine de demeurer des étrangers ou de devenir des ennemis. Parmi ces rois il en est qui sont tolérans ; Théodoric laisse écrire à Cassiodore la belle parole : « Personne ne peut commander la religion ; » Gondebaud ne peut se résoudre à croire à trois dieux, mais il n’impose point sa foi et il voudrait attendre en paix le temps prédit par l’écriture « où l’homme reposera tranquillement à l’ombre de son figuier. » D’autres sont des sectaires comme Euric, qui procédait avec méthode à l’extinction de l’épiscopat. Les uns et les autres sont à peu près également haïs par la population gallo-romaine. Au commencement du vie siècle, l’évêque de Rome a les yeux tournés vers Constantinople, d’où l’orthodoxe Justinien enverra bientôt les armées qui détruiront les Ostrogoths, et les évêques burgondes et wisigoths regardent vers le nord, appelant un libérateur « d’un amoureux désir, » comme dit Grégoire de Tours.


VII

Si profonde, en effet, que fût l’antipathie des évêques pour les ariens, elle n’aurait pas suffi pour détruire les royaumes barbares. La population romaine n’était pas capable de s’aventurer jusqu’à la

  1. « Isti (Petrus et Paulus) sunt qui te ad hanc gloriam provexerunt, ut gens sancta, populus augustus, civitas sacerdotalis et regia, per sacram B. Pétri sedem caput orbis effecta, latius prœsideres religione divina quam dominatione terrena… »