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Ce patriotisme était rehaussé chez quelques hommes par une dignité intellectuelle et morale qui les fait paraître très grands en ces derniers jours de la décadence romaine. Symmaque et Boèce sont deux beaux personnages. Le Symmaque du temps de Théodoric est le quatrième personnage d’une vénérable dynastie. Son arrière-grand-père, revêtu de toutes les magistratures, avait été une des lumières du sénat, au dire d’Ammien Marcellin. Son grand-père, consul en 391, avait présenté à l’empereur Valentinien la défense de l’autel de la Victoire, que les chrétiens ne voulaient plus souffrir dans la curie. Il n’était pas un fervent adorateur des anciens dieux, car il savait bien qu’ils s’en étaient allés pour ne plus revenir, mais il défendait le vieux culte « qui avait été si longtemps bienfaisant à la république, » et disait à l’empereur : « Permettez, je vous prie, que nous transmettions à nos enfans l’héritage de nos pères. » Il avait la religion de la gloire de Rome et il a réédité Tite Live pour rendre de la popularité à l’historien de cette gloire. Il est le type de ces Romains éclairés qui dédaignaient ces deux nouveautés, également funestes à Rome : le christianisme, parce qu’ils étaient des philosophes, et les barbares, parce qu’ils étaient des patriotes. Le troisième des Symmaque suivit la tradition de la famille. Cependant le temps marchait, le christianisme était partout répandu, et Théodoric régnait à Ravenne. Le quatrième des Symmaque est chrétien, mais il garde pieusement le souvenir de la Rome ancienne ; il est un admirateur de Caton d’Utique, réédite le Songe de Scipion, et compose une Histoire romaine en sept livres. Il ne refuse à Théodoric ni ses conseils ni ses services, mais c’est parce que le roi lui demande de surveiller la restauration des monumens de Rome. Il n’est pas le courtisan de l’Ostrogoth, et il cherche à se consoler du présent en contemplant le passé. Ainsi faisait son gendre Boèce. Lui aussi il est chrétien, mais il a, comme les Romains d’autrefois, étudié à Athènes. Il traduit Ptolémée, Euclide, Platon, et il est, au seuil du moyen âge, le premier des grands disciples d’Aristote. Lui aussi il a servi Théodoric ; il se charge, étant très savant en mécanique, de procurer les deux horloges destinées au roi burgonde Gondebaud, étant bon musicien, de choisir le joueur de cithare qu’a demandé Clovis. Quand Théodoric se décide à sortir de Ravenne pour faire une visite à Rome, c’est Boèce qui le harangue au nom du sénat. Mais que devaient penser le beau-père et le gendre du prince qu’ils avaient sous les yeux, d’un homme qui n’aimait pas ce qu’ils aimaient, ne savait rien de ce qu’ils savaient, et qui, pour signer son nom, se servait d’une plaque métallique où étaient dessinées des lettres à jour ? Il n’y a pas de doute qu’ils le méprisaient, ou, tout au moins, qu’ils n’honoraient en lui que le représentant de l’empereur. Leurs