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servitude, et, quand la loi interdit la servitude, le brigandage. Une désertion singulière se produit alors : on déserte la propriété, qui ne peut plus porter le poids de l’impôt, et le législateur impérial en est réduit à dresser la liste de ceux à qui doivent être imputées les terres abandonnées. Depuis longtemps, d’ailleurs, Rome n’a plus de citoyens et elle n’a plus de soldats. Ses sujets n’ont plus de droits, et, s’ils ont des charges, ils n’ont plus de grands devoirs. C’est la pleine décadence, et cette décadence explique le triomphe de la Germanie. Rome épuisée, la Germanie qui a rempli de ses enfans les provinces et l’armée, succède naturellement : phénomène très simple, que l’ancienne rhétorique de l’histoire, transmise par les ecclésiastiques du Ve siècle aux pédans de l’Allemagne moderne, explique en disant que la Providence réservait la Germanie pour le renouvellement du monde.


IV

Avec l’entrée des Wisigoths dans l’empire commence l’histoire d’une Germanie extérieure, d’une Germanie émigrée, si l’on peut dire : Wisigoths, Burgondes et Ostrogoths sont les acteurs principaux. A la fin du Ve siècle, les premiers sont les maîtres de toute la vallée du Rhône, les seconds de la Gaule méridionale et de l’Espagne, les derniers de l’Italie. Avant que ceux-ci se fussent établis, un grand événement s’était accompli. Odoacre, le chef des mercenaires qui occupaient la péninsule, avait enlevé les insignes impériaux à Romulus Augustule, le dernier des fantômes de Césars qui se succédaient en Italie depuis un demi-siècle, et il les avait renvoyés à Constantinople. La députation du sénat, qui les remit à l’empereur en l’an 476, lui représenta qu’un seul maître suffisait au gouvernement du monde : Zénon fut obligé de l’en croire, et l’empire se retira de l’Occident. Bien qu’il prétendit garder tous ses droits, il laissait en réalité le champ libre aux rois barbares, et l’on put croire qu’ils allaient introduire dans l’ancien monde romain une façon nouvelle de vivre ; mais cette Germanie émigrée vécut quelques générations à peine, et elle n’a laissé dans l’histoire qu’un souvenir.

Pourtant ces barbares s’étaient établis sans violence. Les conditions de leur établissement avaient été réglées par les derniers défenseurs de l’empire. Constance avait placé les Burgondes, en l’an 413, sur la rive gauche du Rhin et trente ans plus tard, Aétius les avait transportés en Sabaudie, peut-être pour leur donner cet office de portiers des Alpes, que devaient s’attribuer dans les temps modernes les ducs de Savoie. Les Wisigoths, depuis qu’ils