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ne fut plus suspendue. Au IIIe siècle, apparaissent les noms des peuples qui seront, avec les Goths, les héros de la guerre contre Rome : les Francs et les Alamans occupent sans relâche les armes romaines sur le Rhin. Il est vrai que Claude, Aurélien et Probus leur infligent de sanglantes défaites, et qu’au IVe siècle les historiens et les panégyristes romains célèbrent autant de victoires que Dioclétien, Constantin, Julien et Gratien ont livré de combats, mais le flot barbare ne cesse de battre la frontière. Une poussée plus violente que les autres se produit quand les Huns heurtent les Goths. C’est alors que les Wisigoths sont admis dans l’empire par la grâce d’un contrat qu’ils ont humblement sollicité ; mais, le contrat n’ayant pas été observé, ils se révoltent, ils battent et tuent l’empereur à Andrinople, et Théodose, qui succède à Valens, s’empresse de renouveler la convention. En cette année 378 commence une ère nouvelle, ou des peuples entiers vont être cantonnés, non plus sur la frontière, pour y former ce qu’Ammien Marcellin appelle la pretentura imperii, mais dans des pays depuis longtemps conquis et au cœur même de l’empire ; ils vont s’y multiplier, couvrir des provinces entières, s’étendre, se rapprocher les uns des autres, et, à la fin, étouffer l’empire.

Représentons-nous bien les caractères de cette lutte de la Germanie contre Rome. Les Germains y ont dépensé beaucoup de courage, et il n’y a pas de doute que des âmes fières de barbares ont été enthousiasmées par l’amour de la liberté, mais il ne faut pas attribuer pour cela aux Germains le mérite d’une victoire sur Rome et de l’affranchissement du monde ; ils n’ont pas vaincu Rome et ne savaient point ce que c’était qu’affranchir le monde. Les Cinabres et les Teutons ont donné l’épigraphe de toute l’histoire des relations des barbares avec Rome, le jour où ils ont demandé « au peuple de Mars de leur céder un peu de terre, » en lui offrant « pour les employer à sa guise, leurs armes et leurs bras[1]. » Quatre cents ans après, les Wisigoths, arrivés aux bords du Danube, « envoient en Romanie des députés chargés de demander qu’on leur cède une part soit de la Mœsie, soit de la Thrace, afin qu’ils puissent la cultiver en vivant sous les lois de Rome et en obéissant à ses commandemens[2]. » C’est bien le même langage. Or, entre ces deux migrations des Cimbres et des Goths, la même offre et la même prière sont mille fois répétées. Enfin, au Ve et VIe siècles,

  1. « Ut Martius populus aliquid sibi terræ daret, quasi stipeedium, cœterum, ut vellet, manibus atque armis suis uteretur. » (Florus, Epilome de Tito Livio, III, 3.)
  2. Wisigothi, communi placito, legatos ad Remaniam direxere, ut partem Thraciæ, sivo Mœsiæ, si illis traderet ad colendum, ejus legibus viverent, ejusque imperitiis subderentur… » (Jornandès, De Rebus Geticis, 25.)