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mariage ou mort. Ils sont même assez fidèles aux grandes fêtes. Ils éprouvent le désir instinctif de se réunir de temps en temps, à l’abri d’une institution vénérable qui dépasse le train ordinaire de la vie. Dernièrement, on eut l’idée de faire un enterrement civil. Le cortège se mit en marche ; mais on s’avisa tout à coup que le défunt faisait partie d’une confrérie placée sous le patronage de saint Vincent et que la bannière du saint était enfermée dans l’église. On s’en fut donc quérir la clé chez M. le curé, qui eut l’esprit de ne pas la refuser. On prit la bannière et on la porta triomphalement jusqu’au cimetière. Là nos gens furent encore bien embarrassés. Après un moment d’hésitation, chacun fit bravement le signe de la croix, et jeta sur le cercueil un peu de terre en guise d’eau bénite.

On ne rompt pas en un jour avec les vieilles habitudes. Il est si facile à un pasteur intelligent de les restaurer ! On pourrait citer telle paroisse dont l’église fut délaissée pendant près de vingt ans. Les curés fulminaient et perdaient leur latin. L’un d’eux, homme instruit, tout rempli d’idées générales, d’ailleurs nerveux et irritable, passait son temps à déclamer eu chaire, devant des bancs vides, contre l’athéisme, le scepticisme, le déisme, et toutes les bêtes de l’Apocalypse. Survint un petit curé tout rond, fort ignorant en théologie, jeune, actif, heureux de vivre, qui prit bonnement la paroisse comme elle était, c’est-à-dire également dépourvue de grands vices et de grandes vertus. Il nettoya l’église, redora l’autel, acheta un bel harmonium pour soutenir les chantres qui, pendant ce long interrègne, avaient greffe sur le rituel les fioritures les plus extravagantes. Il fit même sa partie dans une fanfare, aucune bulle du pape n’interdisant aux curés les jouissances de l’art en dehors des offices. On vint d’abord à la messe par curiosité : on y resta, à cause de la musique. La première honte bue, l’église se trouva pleine. Le petit pasteur ne brille pas par l’éloquence, mais il donne par-ci par-là un bon conseil, une idée consolante habillée en langage un peu vulgaire ; et voilà une paroisse reconquise.

Comme on le voit, l’influence ecclésiastique subit de fortes oscillations. Quand le pouvoir du clergé atteint son maximum, il trouve des limites dans la modération qui forme le fond du caractère national et dans les changemens matériels qui modifient l’état de la société. Lorsque le sentiment religieux descend le plus bas, il suffit de la plus légère impulsion pour faire remonter sensiblement le niveau des croyances. Ceux qui pensent, avec Tocqueville, que la religion est indispensable aux sociétés démocratiques, n’ont pas lieu de désespérer. Le sort du clergé est entre ses mains ; il lui appartient d’approprier son enseignement aux nécessités nouvelles.