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Bien des fois cependant le curé est gêné par la propagande intempestive ou le ton impérieux du châtelain. L’esprit démocratique envahit, à leur insu, les âmes qui se croient les mieux affermies contre l’orgueil du siècle. Sous l’habit ecclésiastique, le curé reste fier et jaloux de ses droits. Il n’aime point qu’on tranche avec lui du gros personnage. Il se tient en garde contre les prévenances excessives et s’enferme, de parti pris, dans son presbytère. Le prêtre débonnaire, demi-domestique et demi-chapelain, commensal du baron et serviteur très humble de la baronne, est un type à peu près disparu. Comme il arrive souvent, cette figure d’autrefois ne se rencontre plus que dans de la littérature courante : les prétendues peintures de mœurs de nos jours retardent généralement d’une vingtaine d’années. A la fin de ce siècle, on verra surgir un clergé de campagne bien différent de ce modèle : aussi absolu peut-être sur le dogme, mais lentement pénétré par l’esprit des temps nouveaux, il défendra pied à pied l’autel et la sacristie contre l’envahissement aimable, les guirlandes et les exigences de la haute dévotion.

L’esprit particulariste d’un certain clergé, s’il ne va pas jusqu’à la guerre ouverte, développe quelquefois chez lui d’injustes défiances. Voici un hameau qui n’aurait pas d’église, si le châtelain n’offrait sa chapelle au desservant. Ne croyez pas cependant qu’on tienne compte au maître du logis de sa complaisance. La messe commence à l’heure militaire, même si le maître n’est pas là. L’officiant prêche pour l’assistance et ne tourne jamais les yeux vers le banc privilégié. Il dépouille en courant ses ornemens sacerdotaux ; le châtelain qui désirait lui parler ne peut le saisir. Nous voilà loin du temps où l’on attendait l’arrivée du haut et puissant seigneur pour commencer la messe dans l’église paroissiale ! Ce sont là de minces tracasseries, mais elles sont d’autant plus significatives qu’elles s’adressent aux partisans dévoués de l’autel. Il faut donc qu’elles aient leur source dans quelque amour-propre plébéien mal réprimé. Ailleurs le même sentiment emprunte le masque de l’indifférence philosophique. Un curé, fort indulgent pour les peccadilles de son troupeau, prend un malin plaisir à dérouter l’élite de la paroisse en changeant tous les jours l’heure de la messe. La dévotion exaltée d’un certain nombre de familles bien posées a le don de l’exaspérer. Il se dit janséniste afin de simplifier les cérémonies du culte et se dédommage au prône en faisant l’éloge de son propre zèle à la barbe des châteaux. Ainsi, tandis que le clergé des villes se rapproche de plus en plus des hautes classes, avec lesquelles il est en harmonie complète d’origine