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Canadiens. Le gouvernement anglais poursuit péniblement, à Washington, depuis plusieurs mois, des négociations dans lesquelles il revendique pour ses diverses colonies le traitement de la nation la plus favorisée, comme une conséquence des traités de commerce antérieurs. Le gouvernement américain se refuse à cette concession ; il voudrait se la faire acheter par des avantages, et il a proposé la conclusion d’un nouveau traité de commerce sur lequel il n’a pas été possible de se mettre d’accord avec le cabinet du président Arthur. Le successeur de lord Granville sera-t-il plus heureux avec les ministres de M. Cleveland ? Question plus grave qu’il ne semble, car si le Canada n’a aucun motif de rien changer à sa situation actuelle, il se détachera de l’Angleterre, naturellement et comme un fruit mûr, le jour où il s’apercevra qu’elle ne peut rien pour la protection de ses intérêts.


IV

Parler de l’Irlande est superflu, après ce qui a été écrit ici, tout récemment encore, sur ce douloureux sujet. L’Angleterre ne conserve l’Irlande qu’à la condition de la dépeupler. En quarante ans la population est descendue de 8 millions d’âmes à 5 ; le mouvement de décroissance n’est pas arrêté, et les projets qui rencontrent le plus de faveur à Londres consistent en une organisation officielle de l’émigration, au compte de l’état et des grands propriétaires. L’Angleterre a devant elle le problème le plus terrible qui ait jamais été posé à aucun gouvernement : les deux seules alternatives qui s’offrent à elle sont toutes deux une offense à la justice et à l’humanité ; l’une est l’exhérédation de la population protestante qui est sortie de ses entrailles qu’elle a elle-même appelée et implantée en Irlande ; l’autre est l’expatriation en masse des enfans du sol, de la population véritablement irlandaise. Cependant l’état de choses actuel ne peut se prolonger. L’éclipsé de la royauté, qui ne se laisse apercevoir que tous les quinze ou vingt ans et que par des excursions de quelques jours, l’absentéisme des grands seigneurs qui dépensent en dehors de l’Irlande les revenus qu’ils tirent d’elle, le maintien d’une législation exceptionnelle, tout concourt à entretenir dans cette île déshéritée une souffrance aiguë et une irritation permanente. Obtiendrait-on l’apaisement et le calme au prix des sacrifices réclamés par les agitateurs populaires ? Grands propriétaires territoriaux, membres du parlement, fonctionnaires souvent investis de postes importans, officiers dans l’armée, les protestans d’Irlande constituent le lien le plus fort qui rattache l’Ile à l’Angleterre. Il y a communauté de race, communauté de religion, communauté d’intérêts ; en un mot, tout ce qui unit les hommes. Si