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violé une femme ou fait rôtir un enfant, cette exécution mettra en furie tous les missionnaires ; elle sera dénoncée et flétrie dans toutes les chaires de la secte en Angleterre, et une députation des sociétés bibliques accourra chez le ministre des colonies pour demander vengeance et exiger l’envoi de troupes en Afrique. Comme le ministère Gladstone avait absolument besoin de l’appui électoral des dissidens, il cédait généralement à ces mises en demeure. En ce moment, un général anglais, sir Charles Warren, est dans l’Afrique du sud, avec un petit corps d’armée, sans trop savoir pourquoi il y a été envoyé et ce qu’il a à y faire. Un certain nombre de Boers, dans les trois dernières années, avaient pénétré dans le pays des Bechuanas, à l’ouest du Transvaal, et s’y étaient constitués en état indépendant sous le nom de république de Goshen. Le Transvaal avait commis la faute de reconnaître le nouvel état, mais le général Joubert ayant donné sa démission pour protester contre ce qu’il estimait une dérogation à la convention du 5 février, le président du Transvaal s’empressa de rapporter son décret. Néanmoins, cette reconnaissance momentanée fut représentée en Angleterre comme la preuve d’une collusion ; c’étaient les Boers du Transvaal qui, au mépris de leurs engagemens, tentaient de s’emparer d’un territoire qu’ils avaient promis de respecter. Une expédition était indispensable pour rétablir les Bechuanas dans leurs droits et pour punir le meurtre d’une couple d’Anglais tués dans des rixes locales. Cette expédition fut décidée sur les clameurs des philanthropes de la métropole. La colonie du Cap, qui ne redoute rien tant que l’immixtion des autorités anglaises dans les affaires africaines et qui appréhende que les missionnaires n’aient, gain de cause dans leurs projets de démembrement. offrit son intervention pour tout pacifier. Deux de ses ministres parcoururent le pays, réglèrent les divers différends, et revinrent au Cap après avoir obtenu la disparition de la république de Goshen ; mais les arrangemens conclus par eux ne furent point ratifiés par le gouverneur sir M. Robinson, parce qu’ils avaient consenti à laisser demeurer dans le pays des Bechuanas les Boers qui justifiaient d’avoir acquis par contrat le terrain de leurs fermes, et parce qu’ils n’avaient point rétabli dans les fonctions de résident ou de sous-commissaire au Stellaland le missionnaire Mackensie, que les blancs avaient expulsé comme le principal auteur des troubles qui désolaient le pays. Sir Ch. Warren a donc quitté Le Cap avec son petit corps d’armée et s’est avancé lentement vers le nord, jusqu’à l’extrémité du pays des Bechuanas. Sa marche avait d’abord excité les plus vives appréhensions chez les Boers de l’Orange et du Transvaal, qui redoutaient quelque nouvelle tentative contre leur indépendance ; ils étaient prêts à courir aux armes, lorsque le général les