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Le poisson, qui passera plus tard, à Syracuse, à Athènes, à Corinthe, pour le plus déliait des alimens, est encore dédaigné ; il faut les angoisses de la faim pour que les compagnons d’Ulysse, dans l’île d’Hélios, comme ceux de Ménélas sur les dunes de l’Egypte, s’avisent d’avoir recours à la pêche. Les villes sont ouvertes, ou protégées tout au plus pan des remparts de terre et de bois.

Le contraste est très marqué entre ces habitudes d’un caractère tout primitif et certaines recherches de toilette auxquelles les Grecs se sont initiés, sous l’influence de l’Asie. L’empreinte du goût oriental est partout sensible, dans l’arrangement des cheveux et de la barbe, dans l’habit et dans la parure. C’est de la Phénicie que viennent ces huiles parfumées dont les deux sexes font une si grande consommation ; hommes et femmes s’en oignent les cheveux, et même, après le bain, le corps tout entier. Les revêtemens. de métal, les incrustations d’ivoire et d’émail ont même origine ; l’industrie asiatique en a offert le modèle. Y a-t-il, dans la maison ou sous la tente du héros, une étoffe très richement brodée, un vase ou une armure d’un travail exceptionnel, cet objet, nous dit-on, a été fourni par quelque marchand syrien ou bien il sort d’un atelier cypriote. Supposez un de nos contemporains, lecteur assidu de l’Odyssée, qu’un magicien transporterait, sans lui dire le but du voyage, dans le palais de Ménélas, où, devant la divine Hélène et les rois fils de Jupiter, quelque émule des Phémios et des Démodocos s’apprêterait à entonner le chant épique, après avoir détaché de la colonne la lyre aux clous d’argent. Tant que l’aède n’aurait pas ouvert la bouche, tant qu’il n’aurait pas prononcé les noms familiers des héros qui prirent Troie, le spectateur moderne aurait bien de la peine à savoir où l’a conduit le caprice de l’enchanteur. Plus il ouvrirait les yeux et plus croîtrait son embarras ; ce serait en vain qu’il examinerait la décoration de la salle, la vaisselle éparse sur les tables, le costume et son élégance compassée, ses plis conventionnels et l’éclatante variété de ses couleurs, la bigarrure des franges <et des glands attachés aux bordures des étoiles, la symétrie artificielle des boucles et des tresses savamment disposées autour des visages. Peut-être, après avoir bien regardé, finirait-il par se demander s’il n’est pas l’hôte de Sennachérib, roi de Ninive, ou de Hiram, roi de Tyr.

Supposez la même épreuve faite d’une autre façon ; supposez-vous jeté par le même coup de baguette sur le sommet ; d’un des tertres qui dominent au loin la plaine où coule le Scamandre ; supposez que de là vous assistiez à une des journées de l’Iliade, à une de ces mêlées que le flux et le reflux du combat promène des