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ainsi réparties dans des anneaux circulaires, autour d’un médaillon central, des scènes dont plusieurs ont pu servir de modèle à Homère ; il suffira de citer le siège d’une ville, le lion se précipitant sur les troupeaux de pâtres qui cherchent à le repousser, la danse cadencée que des femmes exécutent en l’honneur de la divinité. Nous savons, d’autre part, que les Grecs, dès ce temps, recherchaient les vases de métal qui provenaient des ateliers de Sidon et de Kition[1] ; ne sommes-nous donc pas autorisés à croire que ce sont ces coupes qui ont suggéré à l’imagination du poète l’idée première et le type du bouclier merveilleux ? D’autre part, on sent ici quelque chose qui appartient en propre au génie grec, qui en révèle déjà toute la supériorité, toute la puissance, toute l’originalité. La fabrique orientale dispose d’un certain nombre de scènes qu’elle sépare ou qu’elle rapproche, sans raison appréciable, suivant le caprice de l’ouvrier ; celui-ci se sert de patrons qui traînent dans les ateliers, et il mêle aux figures qui ont un sens nombre d’images purement décoratives : sphinx, scarabées, lutte du génie et du monstre, barques glissant parmi les papyrus. Dans ce célèbre épisode de l’Iliade il y a une conception d’ensemble à laquelle se rattachent étroitement tous les détails, une conception idéale dont tous les traits sont empruntés « à la réalité. Bien des siècles à l’avance, le bouclier d’Achille, décrit par un artiste de génie qui ne sait pas encore dessiner, annonce et lait prévoir la frise du Parthénon, où Phidias a figuré la procession des Panathénées.


III

Au cours de cette étude, nous avons eu plus d’une fois l’occasion de comparer la civilisation des Grecs d’Homère avec celle que, faute d’un autre terme, on appelle aujourd’hui la civilisation mycénienne, et nous avons toujours paru supposer que cette dernière était la plus ancienne des deux. Il ne semble pas, en effet, qu’il puisse y avoir de doute à ce sujet. Aujourd’hui, les archéologues sont à peu près d’accord sur ce point ; et, sans entrer ici dans le détail, on peut indiquer en quelques mots comment ils sont arrivés à cette conviction.

Les objets de provenance phénicienne sont très rares encore à Mycènes : or, à en juger par plus d’un passage des poèmes, ils devaient être beaucoup plus nombreux chez ces Ioniens, qui étaient en relations suivies avec la Crète, avec Rhodes et avec Cypre, où

  1. Iliade, XXIII, 740-745.