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Si la pierre ne servait pas à fortifier les villes, elle n’entrait que pour une faible part dans la construction des édifices publics ou privés. D’une lecture attentive des deux poèmes il résulte que la plupart des lieux de culte ne comportaient alors qu’un autel qui se dressait en plein air, au milieu d’un terrain que limitait une barrière et qui renfermait un bois sacré. On trouve bien, il est vrai, la mention de quelques temples, et particulièrement de « la forte maison d’Erechthée, » où se rend Pallas-Athéné[1] ; mais ce qui parait indiquer que ces temples étaient plutôt bâtis en bois, c’est que le poète, à propos de l’un des plus célèbres de ces sanctuaires, celui de l’Apollon delphien, dit expressément que « le seuil en était de pierre[2] ? » Aurait-il signalé ce détail si tout l’édifice ou tout le péribole (il n’y avait peut-être pas alors de temple à Delphes) eût été fait de pierre ? Dans ce cas, la dalle du seuil n’aurait pas attiré l’attention, tandis qu’elle ne pouvait manquer d’être remarquée là où, par sa masse et par le poli de sa face supérieure, elle se distinguait tout d’abord de matériaux plus légers et d’une autre teinte. Pour les maisons, la même conclusion s’impose. Celle d’Ulysse, à Ithaque, a deux portes principales, l’une qui conduit dans la cour, et l’autre qui donne accès à la partie postérieure de l’habitation, aux appartemens des femmes ; or, ces deux entrées ont leur seuil de pierre, λάϊνος οὐδός (laïnos oudos), expression qui est d’ailleurs employée aussi à propos de la cabane d’Eumée. La demeure d’Ulysse, par sa belle apparence, révèle tout de suite la haute dignité de son propriétaire ; les bâtimens y couvrent un vaste espace de terrain ; la cour est entourée d’un mur crénelé ; les portes sont à deux battans. Si ce palais avait eu une façade de pierre taillée, le poète aurait-il omis d’en parler, n’aurait-il pas saisi cette occasion de faire encore ressortir ainsi l’aspect monumental du palais ?

Dans ces maisons royales, une seule partie paraît avoir été construite en pierre ; c’étaient les chambres à coucher du maître et des personnes de sa famille. Telle est la pièce qu’Ulysse construit autour du tronc de l’olivier sauvage qui sert de pied au lit qu’il se façonne de ses propres mains, alors qu’il se prépare à épouser Pénélope[3] ; telles sont les soixante-deux chambres destinées aux fils et aux filles de Priam, que renferme le grand palais de Troie[4] ; tel est encore l’appartement de la déesse Circé[5]. Ces chambres de pierre, très petites, devaient être enveloppées dans des constructions de bois. C’était de poutres et de planches qu’étaient faites ces grandes salles

  1. Odyssée, VII, 81.
  2. Iliade, IX, 404 ; Odyssée, VIII, 80.
  3. Odyssée, XXIII, 182-204.
  4. Iliade, VI, 242-250.
  5. Odyssée, X, 210.