Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

long travail de l’intelligence, toute une suite de découvertes dues à des inventeurs qui, pour n’avoir pas laissé de nom dans la mémoire des hommes, n’en ont pas moins fait preuve d’autant de génie que les Gutenberg, les Papin, les Watt et les Edison. A celui qui la possède, une recette de cette espèce assure de tels avantages qu’il y a un intérêt capital à se l’approprier ; c’est tout de suite une prodigieuse épargne de peine et de temps, la vie rendue plus aisée et plus douce, un notable accroissement de richesse et de puissance. Dès qu’il en trouve l’occasion, un peuple n’hésite donc pas ; il s’empare avec avidité de tout ce que peuvent lui fournir, en ce genre, des voisins plus avancés ; il commence par consommer les produits ouvrés qu’on lui livre, puis bientôt, dès que les relations deviennent plus étroites, il aspire à deviner le mystère des façons et des tours de main ; en regardant travailler, il s’essaie à dérober tous les secrets du métier. S’il a d’heureuses dispositions et que les circonstances le favorisent, l’élève pourra plus tard dépasser ses maîtres ; mais, chez ceux mêmes qui ont marché le plus vite et qui sont allés le plus loin, il y a toujours eu, au début, une période plus ou moins prolongée où, dans l’art comme dans l’industrie, on n’a su mettre la matière en œuvre que d’après des types et par des procédés d’emprunt.

Il n’en est pas de même pour la langue ; sauf chez certaines races très inférieures, celle-ci peut, presque toujours, en se développant, se prêter à l’expression de toutes les idées et de tous les sentimens ; c’est pourquoi, mis en présence d’une civilisation même très supérieure, un peuple ne songe pas à désapprendre son propre idiome ; à mesure qu’il éprouve des besoins nouveaux, il se contente d’assouplir son instrument et d’en compliquer le jeu, d’ajouter des notes à ce clavier dont toutes les touches s’ébranlent et résonnent au moindre souffle de sa pensée. C’est ainsi que, grâce à la spontanéité de la parole et à la facilité avec laquelle l’esprit la projette au dehors, le génie grec put, dès le Xe ou le IXe siècle avant notre ère, créer l’Iliade et l’Odyssée. Ces deux épopées sont des chefs-d’œuvre dont rien n’approche, dans tout ce que nous connaissons des littératures de l’Egypte et de la Chaldée. Les orientalistes ont beau nous traduire et nous vanter le Poème de Pentaour et la Descente d’Istar aux enfers, s’il y a là, surtout chez le panégyriste de Ramsès, du souffle et de la grandeur, comme l’épopée grecque est supérieure par la belle ordonnance et l’ampleur de la composition, par la variété des tableaux, par la vie intense dont sont animés les personnages, enfin et surtout par la franchise et la noblesse de sentimens qui, après tant de milliers d’années, trouvent encore un écho dans nos cœurs ! La Grèce est donc, dès lors, en pleine possession de sa haute et souveraine originalité. A la même époque, son industrie est