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plus vieille que ne l’avait cru tout d’abord la science moderne, mise en défiance par les chronologies fabuleuses et démesurées que la vanité nationale avait placées à l’origine de toutes les histoires. Cette flamme s’est allumée, peut-être vers le même temps, d’une part, dans la basse vallée du Nil, et, de l’autre, sur le cours inférieur de l’Euphrate et du Tigre. De l’Egypte elle a rayonné et s’est propagée vers la Syrie ; de la Chaldée, vers la Haute-Mésopotamie, Vers l’Arménie, vers l’Asie-Mineure. Les cités phéniciennes naquirent et grandirent dans une région où les deux influences se faisaient sentir à la fois, où l’on était à portée de ces deux sources de chaleur et de lumière. Grâce aux marins de Gebal et d’Arad, de Tyr et de Sidon, le mouvement s’étendit ; il gagna les îles du bassin oriental de la Méditerranée et les rivages du continent qui le limitait au nord et à l’ouest ; un peu plus tard, à mesure que ces aventureux navigateurs s’enhardissaient et qu’ils allaient plus loin, découvrant d’année en année des terres inconnues et fondant de nouveaux comptoirs, un commerce actif établit, à grande distance, des relations constantes entre les riches métropoles du monde asiatique et ces tribus grecques et italiotes dont l’âme jeune et encore naïve s’éveillait par degrés à toutes les curiosités, au sentiment de l’art, aux besoins et aux goûts de la vie policée.

À ces peuples tard venus il fallut du temps pour dépouiller la barbarie première, pour créer des civilisations nouvelles où se fondissent en une harmonie supérieure les élémens fournis par l’étranger et ceux qui sortaient des instincts les plus profonds et comme du sang même de ces races prédestinées à un si brillant avenir. Pour ne parler ici que du génie grec, il ne se dégagea, il ne se manifesta que par degrés ; ainsi, la poésie naquit en Grèce bien avant les arts du dessin. L’épopée d’Homère et d’Hésiode a précédé de plusieurs centaines d’années les premières œuvres de la plastique grecque qui aient quelque beauté. Pendant les deux siècles que remplit le développement de la poésie lyrique, l’architecture, la sculpture et la peinture sont encore bien loin du libre essor et de la perfection savante. Seul, le drame attique, ce dernier-né de l’imagination grecque, voit éclore auprès de lui et sous ses yeux les chefs-d’œuvre de l’art.

La raison de ce phénomène est facile à saisir ; dans les arts du dessin, la matière oppose plus de résistance à l’idée que dans les arts où celle-ci se traduit par des sons. Cette dernière traduction a quelque chose de plus direct, de plus spontané, de plus rapide. Chez tous les peuples heureusement doués, alors même qu’ils semblent posséder à peine les premiers rudimens de ce que nous appelons la civilisation, l’esprit, maître d’une langue dont les termes