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elles ne les représentent que pour ceux qui les ont déjà dans l’esprit ; elles les leur rappellent, souvent avec une rare puissance, mais elles ne les leur suggèrent pas. Les mots seuls ont cette vertu ; seuls ils sont capables de traduire une conception quelconque avec assez de netteté pour que, malgré la différence des temps et des lieux, elle puisse passer presque tout entière de l’âme d’un contemporain de Chéops ou de Périclès dans celle d’un Allemand ou d’un Français du XIXe siècle.

Une première obligation s’impose donc à quiconque prétend marcher sur les traces des Winckelmann et des Ennio Quirino Visconti, des Gerhard et des Welcker, des Longpérier et des François Lenormant ; il devra, que l’on nous passe cette expression familière, s’être mis dans la tête toute l’antiquité, d’abord et surtout les poètes, les épiques et les lyriques, les tragiques et les comiques, puis les historiens, les orateurs, tous les écrivains que l’on lit pour l’intérêt des sujets qu’ils ont traités ou pour la beauté de leur style ; mais il ne pourra pas s’en-tenir là, il lui faudra consulter sans cesse jusqu’aux médiocres abréviateurs et polygraphes de la basse époque, et savoir interroger les plus entortillés, les moins intelligens des scoliastes. Il est, en effet, tel mythe que les artistes ont mis en scène et qui n’est d’ailleurs connu que par une ligne, parfois même par un mot de l’un de ces commentateurs. La mention est très brève, l’allusion est souvent obscure, et cependant l’érudit vraiment sagace tirera parti de ces indications ; elles lui livreront le secret de mainte figure et de maint tableau qui, sans ce secours, serait resté toujours un problème. Si la vie n’était si misérablement courte, l’apprenti archéologue commencerait par employer quelque quarante ou cinquante ans à lire, la plume à la main, tous les auteurs anciens, d’Homère à Quintus de Smyrne et à Nonnius de Pannopolis, ces enfans presque posthumes de la muse grecque ; il ne s’arrêterait pas là, il aurait le courage de dépouiller les volumineux ouvrages de ces savans byzantins, qui disposaient encore de tant de vieux livres aujourd’hui perdus ; il descendrait jusqu’à Photius et Eustathe, jusqu’à Michel Psellus et Tzetzès.

Pas plus qu’aucun de ses maîtres, M. Helbig ne pouvait songer à réaliser cet idéal, ni s’astreindre à ce trop long noviciat ; comme tous ceux qui sentent de bonne heure le prix du temps, il a dû se hâter et s’essayer à pénétrer les mystères de l’antiquité figurée avant d’avoir analysé, de la première à la dernière ligne, toute l’œuvre de ce que nous appellerons l’antiquité littéraire. Tout au moins, lorsque les leçons de Gerhard lui donnèrent le goût de ces belles recherches d’archéologie auxquelles il allait désormais se livrer tout entier, était-il déjà un philologue assez exercé pour que, depuis lors, il n’ait jamais cessé de mener de