Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir laissé écraser l’armée de l’Est, que le conseil municipal de Paris donne le nom de Garibaldi à un boulevard ! Le général de Manteuffel n’était pas seulement un éminent soldat, il a été aussi et encore plus peut-être un diplomate, souvent employé dans les missions les plus délicates. Il alliait à la ponctualité militaire de l’aménité, de la finesse, un certain esprit de conciliation. A la paix de 1871, l’empereur Guillaume l’avait laissé à Nancy, comme plénipotentiaire auprès de la France pendant l’occupation allemande, et peu après, il l’avait envoyé comme lieutenant-impérial dans l’Alsace-Lorraine. M. de Manteuffel s’était sans doute flatté de gagner par sa diplomatie les Alsaciens, de leur faire accepter la conquête, et il n’a pas tardé, peut-être, à s’impatienter en voyant qu’il obtenait si peu. Il a échoué effectivement, il le sentait bien lui-même, et là où il n’a point réussi, il y a peu de chances pour que d’autres aient plus de succès, dût M. de Bismarck imaginer, comme on le dit aujourd’hui, quelque nouveau projet pour le gouvernement des provinces annexées. La disparition de personnages tels que M. de Manteuffel, le prince Frédéric-Charles, ne changera rien dans l’empire, si l’on veut ; elle n’est pas moins une sorte d’événement, ne fût-ce que parce qu’elle est un signe de plus de la rapidité avec laquelle les hommes passent et la scène publique se renouvelle.

Des morts en Allemagne, des élections qui viennent de s’achever en Autriche et des élections qui se préparent en France, des crises ministérielles un peu partout, à Londres, à Rome et à Madrid, c’est un peu l’histoire du jour. Pendant que les morts s’en vont, les vivans s’agitent en tout pays et rien ne s’interrompt. Ce ne sera certainement pas sans peine qu’on sera arrivé au dénoûment de la crise ministérielle qui a éclaté à l’improviste, il y a quelques jours, en Angleterre.

Les circonstances sont singulières et assez compliquées en effet. Le ministère qui avait le pouvoir depuis quelques années et dont M. Gladstone était le chef éloquent, respecté, a cru devoir donner sa démission au moment où l’on s’y attendait le moins. Il venait, il est vrai, de se trouver en minorité dans un vote sur un point spécial du budget ; mais comme ce coup de scrutin n’était visiblement qu’un accident, presque une surprise, comme la majorité libérale dont M. Gladstone a toujours disposé n’avait pas cessé d’exister, il est clair que le cabinet n’aurait eu qu’un mot à dire pour ressaisir la confiance de la chambre des communes, et que, s’il n’a pas dit ce mot, s’il n’a rien fait pour rallier la majorité, c’est qu’il ne l’a pas voulu. Le vote sur le budget n’a été qu’un prétexte tout trouvé, presque inespéré ; la vérité est que les libéraux semblent avoir vu dans le vote l’occasion la plus favorable pour se dégager d’une situation extérieure et intérieure qui commençait à se compliquer singulièrement.

D’un côté, le cabinet se trouvait sous le poids de ces questions