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ou scènes, sinon précisément obscènes, trop libres tout au moins, que M. de Maupassant nous retrace avec tant de complaisance.

Il répondra, comme faisait naguère à je ne sais plus qui l’auteur de Germinal, que l’on ne saurait trop approfondir les mystères de « l’instinct génésique, » — c’est le nouveau nom de l’amour ; — qu’un roman a toujours suffisamment d’intérêt s’il y est question d’amour ; et, pour le surplus, que ce manque d’autre intérêt que nous lui reprochons, cette absence d’intrigue, cette vulgarité des motifs et cette banalité des personnages, tout cela constitue ce que d’autre part nous lui demandons : une certaine conception de la vie. Mauvaise, la vie l’est sans nul doute, mais elle est surtout médiocre, l’homme naturellement plat, et voilà le principe de son pessimisme. J’ai seulement quelque idée qu’en le définissant ainsi, M. de Maupassant et l’école naturaliste avec lui se trompent sur la nature propre de leur pessimisme. C’est ce qu’il convient de mettre en lumière.

Il est certain que la nature est assez indifférente aux souffrances de l’humanité, et il est certain que, si l’homme veut chercher de quoi se consoler de cette indifférence, il ne le trouve pas dans son histoire. Cependant, comme après tout nous ne sommes pas incapables de plaisirs, et comme la nature, sans nous les avoir destinées, ne laisse pas de nous en offrir, de temps en temps, des occasions, quelques-uns de nos pessimistes s’arrangeraient assez bien de la vie si la vie ne se terminait à la fatale nécessité de mourir. C’est ici ce qu’il y a, sinon de tout à fait nouveau, mais du moins de renouvelé d’assez loin dans leur cas. Ils ne seraient pas pessimistes s’ils pouvaient se soustraire à l’empire de la mort, et l’horreur du néant futur leur gâte seule la joie d’être au monde. La mort est là, toujours présente, ce n’est plus assez de dire qui les guette, mais qui les attaque, tous les jours, de tous côtés, en mille manières, qui les « travaille comme ferait une hâte rongeuse qu’ils porteraient au dedans d’eux, » qui les « dégrade, » qui les « défigure, » qui « teint en blanc leurs cheveux noirs, » qui leur prend « leur peau ferme, leurs muscles, leurs dents, tout leur corps de jadis, » et, en deux mots, qui leur enlève l’un après l’autre tous leurs moyens de jouir. C’est pourquoi son ombre effrayante les suit ou plutôt les accompagne au milieu des plaisirs ; ils ne sauraient goûter de contentement si vif que la pensée de ne plus être un jour ne le corrompe en y mêlant son indicible amertume ; et, par un phénomène curieux, dont ils ne seraient pas dans l’histoire les premières ni les plus illustres victimes, la volonté actuelle de vivre diminue, s’use et finit par s’anéantir en eux sous l’obsession de cette unique idée qu’ils ne vivront pas toujours.

Si cependant ils pouvaient trouver un refuge contre la mort, comme ils s’y précipiteraient, de quel élan, et de quelle ardeur ! comme ils