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« les guerres de magnificence, » lesquelles finissent toujours par des mécomptes ou des désastres. Charles VIII se laissera tenter par la légende et suivra en Italie l’ombre de Charlemagne. En vain Crèvecœur, gouverneur de Picardie, lui représente « que la sûreté et le repos du royaume dépendent de la possession des Pays-Bas. » Il ne voit plus l’est ni le nord, il part pour la conquête de Naples et de Constantinople. Plus tard, Louis XIV, après avoir pris deux fois la Franche-Comté et consacré ses forces à ces guerres communes qu’aimait Vauban, voudra, lui aussi, avoir sa guerre de magnificence, celle de la succession d’Espagne, et peu s’en faut qu’il ne compromette pour longtemps l’ouvre de Richelieu.

Les étoiles qui président aux destinées de la France n’ont pas voulu que ses maîtres fussent toujours raisonnables ; c’eût été trop de bonheur. Quelques-uns ont possédé, dans une mesure presque surhumaine, le génie des affaires ; d’autres avaient le goût du merveilleux, du romanesque, ils se sont lancés à corps perdu dans des entreprises chimériques et ruineuses : le romanesque coûte toujours très cher. Leurs équipées et leurs tristes expériences servaient de leçons ; après s’être égaré sur de fausses pistes, on revenait aux vraies traditions, aux combinaisons lentement mûries, à la politique de modération et de sagesse, la seule qui nous ait réussi. On se rappelait que, quoi qu’on fasse, le bon sens doit être de tout, que la France ne doit pas chercher à s’agrandir au midi, que les Alpes et les Pyrénées s’y opposent, que son seul intérêt permanent était de se créer au nord-est une frontière solide et invulnérable, qu’au surplus il faut acheter son bonheur par de longues patiences, qu’il convient de ne prendre que ce qui est bon à garder et de n’entreprendre que ce qu’on est capable d’achever, qu’il est plus sage de se contenter de ce qu’on a que d’acquérir à des conditions onéreuses, qu’il y a de sots marchés où l’on joue un rôle de dupe, que personne n’est assez fort pour faire des conquêtes en grand sans avoir des compagnons de fortune, qui réclament leur part dans la curée, que ces associés sont des ambitieux dont on se fait des rivaux, que mieux vaut rester ce qu’on est que d’agrandir ses voisins et de se diminuer de tout ce qu’on leur donne.

C’était la politique modérée qui prévalait à la veille de la révolution. M. de Vergennes avait refusé de lier partie avec l’empereur Joseph, qui, pour décider la France à lui laisser prendre la Bavière, offrait, par voie d’insinuation, de se dessaisir en notre faveur d’un morceau des Pays-Bas. M. de Vergennes repoussa bien loin cette proposition ; il demeura fidèle au système des traités de Westphalie, qui fondait la suprématie de la France sur la clientèle des états moyens. « Ne valait-il pas mieux demeurer la monarchie la plus puissante au milieu d’une Europe morcelée, que de partager dans une rivalité continuelle avec des égaux le