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met Puget sur le même rang que Phidias, et Carpeaux sur le même rang que Puget. Les anciens cherchaient moins à rendre la nature qu’à l’interpréter. Copier un modèle, si beau qu’il fût, ne leur paraissait pas digne d’un art aussi élevé que l’art sculptural. Ils poursuivaient un idéal de beauté irréprochable dont ils ne pensaient pouvoir se rapprocher que par l’excessive pureté des lignes. Si les termes n’étaient pas contradictoires, nous dirions qu’ils ont fait de la sculpture abstraite. Ils ont, pour ainsi parler, simplifié de parti-pris le corps humain.

M. Dalou s’est placé à un point de vue tout opposé. L’abstraction ne lui convient pas. Ce qu’il cherche avant tout, c’est la vie avec son exubérance et la vérité avec sa rudesse. Il ne recule pas devant les incorrections de la nature. Il les accuse un peu trop parfois. Que voulez-vous ! Il tient à ce que le marbre palpite comme la chair, qu’il en ait les morbidesses et les molles ondulations. Il ne cherche point à réaliser la perfection. Tout au plus, se contente-t-il parfois de poétiser la réalité.

Atteint-il son but ? Bien souvent, il faut l’avouer ; mais moins souvent qu’il ne croit. Il y a deux hommes en M. Dalou : un sculpteur et un ornemaniste, et souvent l’ornemaniste l’emporté sur le sculpteur. Les hasards de la vie ont conduit M. Dalou en Angleterre, où pendant de longues années il a dirigé les études au Kensington-Museum. Là, il a été obligé de plier son talent à toutes les fantaisies de l’art industriel ; corniches, portes, vases, lampes, candélabres, on lui a tout demandé et il a tout fait. Quelque chose de ces candélabres, de ces vases et de ces corniches est malheureusement resté jusque dans ses plus belles œuvres. Les préoccupations du décor y tiennent trop de place. On y entrevoit vaguement des courbes qui rappellent les beaux chandeliers Louis XV, des rotondités de poteries, et jusqu’à ces enroulemens de lignes qu’affectent les ustensiles enjolivés.

Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs : nous ne prétendons pas rabaisser, en lui adressant ces critiques, le très grand talent de M. Dalou. Son séjour en Angleterre, tout en accentuant ses défauts, a en même temps développé ses qualités, qui, comme nous le disions, sont de premier ordre. Il a appris là-bas à se débarrasser de la routine, des préjugés, de la banalité et de la convention. Peu à peu, il s’est créé ainsi une personnalité puissante qui fait aujourd’hui sa réputation et sa gloire. Il n’a donc rien à regretter, ni nous non plus.

Nous l’aimerions seulement un peu plus simple. Carpeaux, Houdon, Puget étaient plus simples que lui. Le bronze et le marbre ont besoin de simplicité. M. Dalou a dû faire cette réflexion en