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demeure est, depuis l’origine des sociétés, le fait de tous les hommes. Le désir de la propriété est un des goûts naturels de l’homme ; éternel enfant, il veut être propriétaire, comme l’enfant lui-même aspire à être général dès le berceau.

Sans élever aussi haut des ambitions démesurées, est-il un sage qui n’ait désiré une demeure spacieuse, intelligemment distribuée, accessible aux caresses de la lumière, abritée contre les vents du nord, ouverte aux douces brises de l’été ? C’est un rêve qu’ont pu caresser les plus humbles des humains. La maison, la demeure, tous y ont pensé ! Tous s’en préoccupent chaque jour, tous la voudraient voir, si parfaite qu’elle soit, encore mieux aménagée pour abriter les fatigues, les plaisirs, les travaux de la vie. Riches et pauvres, humbles et puissans, ouvriers et penseurs, travailleurs et philosophes, l’architecture intéresse tous les hommes. Chaque année, le Salon lui fait une place et lui ouvre quelque salle. Il semble que cette salle doive être de toutes la plus fréquentée : d’où vient qu’elle est triste et morne et qu’on s’y promène comme dans une solitude ? C’est le seul point que nous voudrions essayer de traiter en deux mots cette année, sans nous arrêter dans cette section à la critique des œuvres exposées. Peut-être les architectes n’exposent-ils pas assez d’architecture. On voit bien, dans la salle qui leur est attribuée, les lignes noires et rouges de leurs plans s’étaler perpendiculaires ou parallèles sur le bristol tendu qui couvre leurs châssis ; mais nos architectes ne comptent pas assez avec l’ignorance du public, et, dans leurs dessins savans, le passant profane chercherait en vain à retrouver le rêve interrompu, l’intérieur tant désiré.

Les peintres exposent pour tout le monde, les sculpteurs également. Ils dressent à grands frais les statues dispendieuses, ils élèvent des monumens coûteux, lente et laborieuse épargne de l’année. Le public passe en souriant dans le jardin de la sculpture, et quand il frôle la moindre statue, il sait à peine ce qu’il a fallu de sacrifices et de patience à l’artiste qui l’a conçue pour la lui présenter gracieuse et souriante dans la luxueuse apparence du marbre ou de la pierre. MM. les architectes n’exposent que pour les architectes eux-mêmes. Il faut presque être du métier pour reconstituer d’après les lignes mystérieuses de leurs plans l’édifice qu’ils ont rêvé, les matériaux qu’ils y veulent employer, les proportions qu’ils entendent donner au monument lui-même et à chacune de ses parties. Quelques architectes l’ont compris, et, pour échapper à la sévérité de la science, ils exposent des aquarelles charmantes qui pourraient figurer avantageusement dans la section des dessins. Ce n’est plus de l’architecture : c’est un ciel bleu et profond qui couvre dans un