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les indigènes par des présens et.de gré ou de force, les emmenaient en Australie, où ils étaient loués, c’est-à-dire vendus pour dix ou douze ans, jusqu’à ce que leur force musculaire fût épuisée. La plupart de ces malheureux périssaient misérablement ; bien peu revoyaient leur pays : encore y retrouvaient-ils rarement quelqu’un des leurs. Dans ces dernières années, des scrupules tardifs se sont éveillés au sein des populations australiennes au sujet de cet abominable trafic qui était un déshonneur pour le nom anglais ; sur les protestations de quelques esprits généreux et les observations de divers gouvernemens, les autorités anglaises ont entrepris de réglementer le recrutement des travailleurs dans les archipels de la mer du Sud. Elles ont exigé des contrats réguliers conclus en présence et sous le contrôle de commissaires officiels, dont ils ont imposé la présence à bord de tout bâtiment employé au transport des travailleurs indigènes, et la durée des contrats a été limitée à trois années. Les conditions habituelles de ces contrats sont le transport gratuit à l’aller et au retour, 100 francs de gages et la nourriture pour chacune des trois années du contrat et une prime de 75 francs au retour. L’entrepreneur de transports traite de gré à gré avec les planteurs pour la location des travailleurs qu’il a recrutés et amenés en Australie, soit de la Nouvelle-Guinée, soit des Nouvelles-Hébrides ou des autres archipels. Les louables efforts des autorités anglaises sont souvent déjoués avec la complicité des planteurs du Queensland ; les rapts, les violences, les actes de cruauté sont encore fréquens : un procès criminel qui s’est terminé, il y a quelques mois, par la condamnation à mort d’un de ces entrepreneurs de transport coupable d’avoir tué un indigène qui avait refusé de s’engager et qui résistait à une tentative d’enlèvement, a mis au jour les faits les plus révoltans. Tantôt on attire à bord des femmes et des enfans par la promesse de quelques petits présens ; on ne les laisse plus retourner à terre et le navire fait voile pour l’Australie quand il a complété le long des côtes sa cargaison humaine : tantôt ce sont des familles entières qu’on enivre avec des spiritueux et des breuvages soporifiques ; qu’on charge de chaînes pendant leur sommeil et qu’on transporte à bord en repoussant à coups de fusil ceux qui veulent s’opposer à ces enlèvemens ; des femmes sont arrachées à leurs maris, des pères sont tués en essayant de défendre leurs filles. Dans le procès dont il s’agit, il a fallu l’évidence des faits et toute l’énergie des autorités pour arriver à une condamnation. Des efforts étaient faits pour intimider les témoins et les jurés, et l’arrêt n’a pas été exécuté ; les planteurs, craignant qu’un acte de répression trop rigoureux ne décourageât leurs pourvoyeurs de chair humaine, ont arraché au gouverneur de la colonie une