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remarquée, M. Gladstone a conféré récemment la pairie à un ancien membre du parlement canadien, qui revenait fixer sa résidence dans la mère patrie. Cet exemple est demeuré unique jusqu’ici ; mais plusieurs titres de baronnet avaient déjà été conférés à des membres influens des assemblées canadiennes. Quant au titre plus modeste et purement viager de chevalier, il est maintenant passé en usage de l’accorder à quiconque a rempli pendant un certain temps les fonctions de premier ministre dans une colonie de quelque importance. C’est ainsi que l’Angleterre a vu, il y a deux ans, revenir avec le titre et les prérogatives de chevalier un ancien fénian, M. Barry, qui, poursuivi pour haute trahison et condamné par contumace, s’était enfui aux États-Unis, puis s’était établi dans la colonie australienne de Victoria et y était parvenu au rang de premier ministre.

Ces faveurs personnelles et purement honorifiques peuvent flatter l’amour-propre de quelques individus et provoquer des dévoûmens isolés : elles sont impuissantes à calmer le mécontentement des populations ; mais cette affiliation de quelques colons de distinction à l’aristocratie métropolitaine a mis certains esprits sur la voie d’une combinaison qui leur paraît de nature à conjurer les dangers que court l’intégrité de l’empire britannique. Pourquoi cet empire ne se transformerait-il pas en une confédération sur le modèle de celle des États-Unis, au sein de laquelle des populations d’origine très diverse, d’intérêts souvent opposés et dotées de la plus large autonomie, vivent en bonne intelligence sous un gouvernement commun, qui leur assure à toutes une égale protection, et qui représente ou plutôt qui constitue leur unité nationale ? Pourquoi les colonies ne pourraient-elles prendre place dans une confédération de ce genre ? Il n’y a pas une plus grande divergence de vues, d’intérêts et de mœurs entre le planteur de la Jamaïque et l’habitant du Yorkshire, qu’entre le planteur de la Louisiane ou de la Floride et l’armateur du Maine ou le trappeur du Kansas. Cette idée d’une confédération à établir entre l’Angleterre et ses diverses dépendances, en vue de rattacher celles-ci à la métropole par un lien indissoluble, a trouvé faveur chez beaucoup des hommes qui ont exercé, aux colonies, de hautes fonctions administratives ou judiciaires et ont pu y constater une certaine impatience du joug métropolitain. Elle a rencontré bon accueil au sein du parti radical, qui ne voit, dans la fédération, qu’un acheminement vers la séparation, et qui accepte d’avance ce dénoûment. Enfin, elle a séduit plusieurs des hommes d’état libéraux les plus influens, tels que M. Forster et lord Rosebery. Ces nombreuses adhésions ont conduit à la fondation, à Londres, d’un nouveau cercle, l’Empire Club, créé pour