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contre l’agression soudaine de quelque cuirassé ennemi. Si la métropole entreprenait de satisfaire à ces demandes, il en résulterait une charge écrasante pour le budget. Or, le parti radical, dont la force au sein de la chambre des communes s’accroît à chaque élection générale et qui cherche à donner pour fondement à sa popularité la réduction des dépenses publiques, s’oppose énergiquement à ce qu’on demande aux contribuables anglais aucun sacrifice dans l’intérêt particulier des colonies : il se déclare prêt à les abandonner à elles-mêmes et rappelle volontiers que, dix années seulement après l’émancipation des États-Unis, le commerce de l’Angleterre avec ses anciennes colonies avait plus que doublé. Ces idées sont très répandues au sein des trades-unions, et le président de l’association des ouvriers de Londres, M. George Potter, écrivait à ce sujet, au mois de février dernier : « Si une province quelconque de l’empire britannique ne peut être amenée à contribuer aux frais d’entretien de tout l’empire, il est temps, assurément, que l’Angleterre s’exonère de la charge de défendre cette province en temps de guerre, et de contribuer à ses dépenses d’administration en temps de paix, et qu’elle s’efforce, dès maintenant, de régler sa politique et ses projets sur la réelle médiocrité de ses ressources. »

En présence de cette opposition et par souci de l’équilibre du budget, le gouvernement anglais a pris jusqu’ici un moyen terme : il exige des colonies que, sous la forme d’une subvention ou de subsides annuels, elles participent à la dépense que la métropole s’impose dans leur intérêt, soit qu’on fortifie leurs ports, soit qu’on envoie des troupes pour les protéger contre les populations indigènes. Les colons ne refusent point ces contributions, dont ils comprennent la nécessité, mais un sentiment bien anglais s’élève dans leur esprit : pénétrés de la doctrine qu’impôt emporte représentation, ils se demandent si, participant aux dépenses de l’empire, ils n’ont pas droit à participer à la conduite des affaires. Est-il équitable que la métropole soit seule arbitre du sort des colonies ? Elle leur laisse, il est vrai, l’autonomie intérieure la plus étendue ; elle leur permet de faire leurs lois, de fixer leurs impôts, de régler leurs tarifs de douane et même d’imposer les produits anglais comme les étrangers ; mais à son tour, elle ne leur accorde chez elle aucun avantage : dans l’établissement de ses tarifs, elle ne tient aucun compte de leurs intérêts ; elle ne se préoccupe à aucun degré de l’influence que la direction de sa politique peut avoir sur leurs destinées : elle pourvoit à leur protection d’une façon insuffisante et comme à regret, et cependant elle peut, à tout instant, les entraîner dans des querelles qui leur sont indifférentes et les exposer aux agressions d’un ennemi avec lequel elles n’ont aucun démêlé. Chaque fois