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question de plans. Et ces plans diffèrent en ce qu’ils semblent plus ou moins écartés de notre centre personnel : ainsi, dans un tableau, les dernières lignes d’un paysage paraissent fuir dans un lointain imaginaire.

Nous n’avons pas à rechercher ici comment se fait la projection dans l’espace. Disons seulement qu’elle est à nos yeux une forme particulière de l’appréciation d’intensité que nous venons de décrire. On nous objectera que les sons ont de l’intensité sans avoir de l’étendue ; mais d’abord, nous distinguons la direction des sons dans l’espace ; de plus, si la représentation d’espace engendrée par les sons demeure extrêmement vague, cela tient à ce que nous ne pouvons pas réagir à l’égard des sons comme nous réagissons à l’égard des résistances au moyen du tact, et même à l’égard des objets visibles au moyen des mouvemens de l’œil. Toujours est-il que c’est la réaction motrice plus ou moins énergique produite par les idées et images qui nous les fait projeter à des rangs divers dans la sphère de l’intensité ou à des distances diverses dans celle de l’étendue.

Reste à pénétrer dans le domaine du temps ; nous ne sommes pas au bout de notre recherche. Une fois les images distinguées en faibles et on fortes, et même projetées dans l’espace, encore faut-il que les unes soient rejetées dans le passé, tandis que les autres demeurent dans le présent. Le mécanisme de cette localisation est un des points qui ont le plus embarrassé les psychologues de notre époque ; nous croyons qu’ici encore la considération des idées-forces ne sera pas inutile.


II

M. Taine a proposé une théorie des plus ingénieuses, qui ramène la localisation dans le temps à un pur mécanisme, et M. Ribot accepte entièrement cette théorie. M. Taine part de ce principe que toutes nos sensations, depuis celle d’un son jusqu’à celle d’une odeur, ont nécessairement une durée, parce que cette durée est une condition de la conscience même : un mouvement nerveux trop rapide échapperait à la conscience. Toute représentation étant ainsi, en réalité, une série d’états de conscience, on peut y admettre deux « extrémités, » l’une « antérieure, » l’autre « postérieure. » Par là devient possible, selon M. Taine, le mécanisme de la situation dans le temps. L’image, par exemple celle d’une éclipse de soleil, reculera dans le passé par la mémoire ou se projettera dans l’avenir par la prévision, suivant la direction de ses extrémités et de ses attaches. Si je me souviens de l’éclipse, c’est qu’elle touche par a son bout antérieur » à d’autres événemens dont l’image ressuscite ; si je