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statistique, mais je me suis efforcé d’en réunir quelques-uns en étudiant, d’après des documens peu répandus, la condition des ouvriers qui travaillent dans les usines de houille et celle des employés de chemins de fer. Ce sont là des industries considérables qui occupent dans notre pays un grand nombre de bras, et nous aurons par là quelques lumières sur la condition générale des ouvriers de la grande industrie. Occupons-nous d’abord des ouvriers de mines.

Il a été beaucoup parlé dans ces derniers temps de la situation des ouvriers mineurs en France, ou plutôt ils ont beaucoup fait parler d’eux. Leurs griefs, plus ou moins légitimes, ont trouvé de nombreux échos au sein du parlement, et leurs doléances, plus fondées peut-être que leurs griefs, ont été rédigées en cahiers par d’habiles metteurs en scène, sans doute pour donner à entendre que, seuls parmi tous les citoyens, ils vivent encore sous l’ancien régime, de tyrannique mémoire, comme chacun sait, et n’ont tiré aucun profit des principes de 89. Sans que l’ancien régime ou les principes de 89 aient rien à voir dans l’affaire, il faut avouer, en effet, que la condition du mineur français n’a rien d’enviable et que, sinon ses griefs, car ce n’est la faute de personne, du moins ses doléances sont assez justifiées. Il est astreint à un travail rude en lui-même et qui s’exerce dans des conditions sinon malsaines, du moins particulièrement attristantes. La nature toute matérielle de ce travail, qui n’exige ni instruction ni grande habileté de main, et qui est à peu près le même pour tout le monde ne lui permet guère d’espérer qu’il parviendra par son savoir-faire et son économie à améliorer et à transformer notablement sa situation. De plus, le métier est périlleux, et il est sans cesse exposé aux coups inopinés d’un ennemi souterrain, le grisou, qui semble redoubler depuis quelque temps le nombre de ses victimes. Enfin la concurrence des producteurs étrangers travaillant dans des conditions plus favorables maintient inévitablement son salaire à un niveau qui ne dépasse guère ses plus stricts besoins. Telle est la condition du mineur dans les houillères françaises. Ce qu’il y a de pénible dans cette condition a été naguère mis en lumière avec beaucoup de force dans un roman de M. Zola. Oh ! que j’ai de rancune littéraire contre cet homme qui, avec sa fécondité d’imagination, sa vigueur de pinceau et sa rude éloquence, aurait pu nous donner un si beau roman populaire, d’une lecture un peu douloureuse peut-être, mais instructive et saine, et qui, au lieu de cela, s’obstine à ramasser dans tous les coins des ordures, où il se vautre inutilement et comme à plaisir ! Quand on se donne pour le peintre de la vérité et l’apôtre du naturalisme, a-t-on bien le droit d’entasser ainsi qu’il l’a fait les exagérations, les invraisemblances et de terminer par des prophéties de songe-creux, en annonçant en