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Sur les 14,963 pensions inscrites à la caisse des retraites de la vieillesse par l’intermédiaire des sociétés de secours mutuels, 88 seulement s’élevaient de 300 à 452 francs ; 418 étaient de 299 à 200 francs ; 2,352, de 199 à 100 francs ; enfin, 12,105, de 99 à 30 francs, qui est le minimum. Un aussi grand écart entre le chiffre des pensions s’explique par ce fait que quelques sociétés de secours mutuels sont composées moins de travailleurs que de petits bourgeois (par exemple celle des médecins de France, des employés du greffe du tribunal de commerce, des bouchers de Paris, etc.), qui peuvent imposer à leurs membres d’assez fortes cotisations. Mais la grande majorité de celles qui sont composées véritablement d’ouvriers n’arrive pas à servir à ses membres, à partir de soixante-trois ou soixante-quatre ans, une pension qui en moyenne dépasse 100 francs. Si ces braves gens, qui ont été toute leur vie laborieux et économes, n’avaient pas d’autres ressources personnelles ou d’autres soutiens pour assurer leur vieillesse, il serait à craindre que leurs derniers jours ne fussent assez misérables. La prévoyance libre et la libéralité individuelle réunies sont donc arrivées ici à d’assez maigres résultats. Voyons ce que vont donner la prévoyance obligatoire et la libéralité collective.

Si un assez grand nombre de sociétés industrielles se servent de la caisse des retraites pour la vieillesse et y versent le montant des retenues exercées par elles sur les salaires de leurs ouvriers, il y en a un grand nombre d’autres qui administrent elles-mêmes ces fonds de retraites et qui servent directement les pensions. Il nous faut donc ici tout à fait renoncer à nous servir de la statistique officielle et chercher à y suppléer par d’autres renseignemens. Malheureusement ces renseignemens sont très incomplets. Il n’existe aucun document indiquant le nombre de sociétés ou d’industriels qui ont créé spontanément et en dehors de toute obligation légale des caisses de retraites pour leurs ouvriers. Cela est regrettable, car un document de cette nature serait la meilleure réponse à opposer à ces appréciations un peu passionnées de notre état social qui représentent l’ouvrier du XIXe siècle, le prolétaire comme on se plaît à l’appeler, livré sans protection, sans défense, sans souci de son bien-être ni de son avenir, à toutes les horreurs d’une concurrence sans merci. Cette statistique montrerait au contraire que, dans la grande industrie, on se préoccupe plus que jamais de la condition de l’ouvrier, que des efforts consciencieux sont faits pour améliorer sa situation pendant la période du travail, comme pour assurer son avenir pendant la vieillesse, et que le XIXe siècle en général, la France en particulier, peuvent soutenir la comparaison sans désavantage avec tout autre siècle et tout autre pays. Je n’ai point malheureusement tous les élémens de cette