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alliés peu sûrs. L’ancien chef des libéraux allemands, le docteur Herbst, n’a pas été élu sans difficulté. En revanche, la droite, qui se compose d’autonomistes, de catholiques, de conservateurs et qui forme l’armée ministérielle, a beaucoup gagné. Elle a pour son compte 188 élections, elle n’en avait eu que 173 en 1879. Le gouvernement sort dans tous les cas de l’épreuve électorale avec une majorité dès ce moment assurée. Ce résultat, à vrai dire, n’était point absolument imprévu. Les partis vaincus peuvent l’attribuer aux influences aristocratiques et cléricales qui l’auraient préparé, aux pressions officielles qui l’auraient décidé ; il est dû surtout vraisemblablement à la politique que le comte Taaffe représente au gouvernement. Le cabinet du comte Taaffe a un avantage, il vit depuis six ans ; il a su se maintenir au pouvoir, et il a réussi parce qu’en reprenant l’œuvre que le comte Hohenwarth avait entreprise avant lui sans succès, il l’a conduite avec autant de dextérité que de prudence. Le comte Taaffe s’est inspiré des nécessités les plus profondes de la situation d’un empire composé de races si diverses, si persévérantes dans le culte de leurs traditions, — qui peuvent être une force pour la monarchie austro-hongroise, qui peuvent aussi être une faiblesse et créer parfois les plus graves embarras. Placé entre toutes ces races, entre tous les partis, il s’est proposé sincèrement de les concilier, faisant droit aux revendications légitimes des Tchèques, des Polonais, des catholiques du Tyrol et de la Carinthie, sans céder aux impatiences fédéralistes et réactionnaires, contenant les Allemands sans blesser leurs droits, sans leur donner trop de griefs. Il a fait beaucoup de concessions aux Slaves, il a résisté en même temps à ceux qui auraient voulu, pour la satisfaction de toutes les autonomies, que la langue allemande cessât d’être la langue officielle de l’empire. Le chef du cabinet de Vienne, le comte Taaffe, a suffisamment réussi dans son œuvre, au moins jusqu’à ce moment. Il a su adoucir les incompatibilités nationales, prévenir ces scissions ou ces sécessions violentes, qui, avec des ministères allemands ou avec des ministères fédéralistes trop accentués, ont été quelquefois un sérieux embarras, et amener les races les plus diverses à traiter ensemble des affaires de l’empire dans le parlement. C’est, à vrai dire, la politique la mieux appropriée aux conditions présentes de l’Autriche. Elle répond entièrement, dit-on, aux vues, aux sentimens de l’empereur François-Joseph lui-même, et le succès qu’elle vient d’obtenir aux élections, en assurant la position ministérielle du comte Taaffe, est comme une sanction nouvelle de ce système de conciliation intelligente et surtout pratique.

CH. DE MAZADE.