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se hâtant de rentrer dans un ordre de négociations plus modestes, en se contentant d’un arbitrage inoffensif.

Non, le cabinet de Londres n’a été heureux dans ces derniers temps ni en Égypte, ni avec la Russie, et l’opinion anglaise en a évidemment souffert dans sa fierté, tout en Bâchant peut-être gré à son gouvernement d’avoir maintenu la paix extérieure. D’un autre côté, quelle qu’ait été toujours et quelle que soit encore l’autorité de M. Gladstone dans le parti libéral, dans le parlement, il y avait depuis quelque temps dans le cabinet des conflits d’influences qui se sont récemment manifestés à propos du renouvellement des lois répressives d’Irlande, du crime-acts que le vice-roi lord Spenser réclamait comme une nécessité, que les radicaux du ministère, sir Charles Dilke, M. Chamberlain refusaient d’accorder. Il est clair que, dans ces conditions, le plus simple incident pouvait tout précipiter. C’est ce qui est arrivé à propos du budget du chancelier de l’échiquier. M. Childers. Sur une motion d’un des chefs conservateurs, M. Hicks-Beach, le ministère a été mis en minorité, et il a aussitôt envoyé sa démission à la reine, qui était en ce moment en Écosse. Le vote sur le budget a été le prétexte de la crise ; en réalité, la vraie cause, la raison décisive est dans toute une situation progressivement altérée. Quel sera maintenant le dénoûment de cette crise ? Un seul fait est certain. La reine, avant de revenir à Windsor, a accepté la démission du cabinet libéral et a appelé auprès d’elle un des principaux chefs conservateurs, lord Salisbury. L’interrègne n’est pas fini et la situation est d’autant plus sérieuse qu’elle se complique d’un certain inconnu à l’approche d’élections qui se feront dans des conditions si nouvelles. M. Gladstone aurait pu sans doute garder encore le pouvoir ; le reprendre aujourd’hui, sur un appel nouveau de la reine, serait pour lui une tâche aussi épineuse que délicate. Il semblerait n’être plus qu’un gérant temporaire du gouvernement, et il se retrouverait non-seulement avec toutes ces affaires extérieures où il n’a pas été heureux, mais encore avec ces conflits intimes entre vieux libéraux et radicaux qui ont compromis son ministère. D’un autre côté, toutefois, la tâche des conservateurs, s’ils sont décidément appelés au pouvoir, ne sera certainement pas aisée. Quelle sera la politique d’un ministère dont les principaux membres désignés d’avance sont lord Salisbury, sir Stafford Northcote, le leader impétueux du jeune torysme, lord Randolph Churchill ? Il a, lui aussi, les élections en perspective. Il aura à reprendre toutes ces questions d’Égypte, des négociations avec la Russie qui restent en suspens, et les affaires d’Irlande. Ce qu’il y a de plus apparent, c’est que, quel que soit le ministère, il va y avoir pour quelques mois en Angleterre une trêve jusqu’au grand scrutin populaire qui seul dira le dernier mot de la crise ouverte aujourd’hui.

La vie de l’Europe a singulièrement changé depuis un demi-siècle,