Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrange ? Dans quelles conditions pourrait-elle se réaliser ? Elle ne serait que ce qu’elle a toujours été, car elle n’a vraiment rien de nouveau ; elle ne pourrait, elle ne peut être que la continuation d’une perpétuelle équivoque, de cette confusion où des ministères qui se sont dits quelquefois modérés, qui croyaient ou qui voulaient l’être, ont subi l’influence des passions extrêmes, des emportemens, des fanatismes de leurs alliés dans leur propre parti. M. Jules Ferry, qui a si souvent paru décidé à rompre avec les radicaux, qui a fait des discours contre eux, qui écrit encore aujourd’hui des lettres où il les rudoie avec l’amertume d’un vaincu, M. Jules Ferry lui-même n’a cessé de transiger avec des passions qu’il avait l’air de désavouer et devant lesquelles il s’inclinait pour vivre. M. Brisson et ses collègues semblent être des ministres plus disposés encore à chercher un appui dans les fractions les plus avancées de leur parti. Depuis que les républicains sont au pouvoir, ils n’ont cessé de pratiquer cette tactique des concessions intéressées, des transactions avec ceux qu’ils se figuraient désarmer en subissant leurs conditions. Est-ce que dans ces dernières années on n’a pas toujours procédé ainsi, prétendant faire un gouvernement avec toutes les fantaisies agitatrices, excluant ou dédaignant les modérés parce qu’on ne les craignait pas, et cédant aux violens, livrant aux radicaux tantôt la magistrature ou l’administration, tantôt les intérêts de l’armée, un jour les cultes et l’inviolabilité des consciences, un autre jour les finances publiques ? On a cru vivre indéfiniment ainsi en se tirant d’embarras par des concessions successives et on n’a réussi qu’à tout compromettre. Que représente aujourd’hui cette « concentration des forces républicaines » dont on parle, si ce n’est la continuation du système qui a conduit justement à cette situation où nous sommes, où l’on croit encore une fois réussir par des promesses, par des captations de popularité ?

Un des plus frappans caractères de ce système, si on peut appeler ainsi une politique qui vit de passions plus que d’idées et de raison, c’est qu’il menace tout sans rien créer et qu’il laisse l’incertitude même là où il ne fait pas la destruction complète. On ébranle tout, on inquiète tous les intérêts, on fatigue les institutions, sans substituer aux garanties anciennes un esprit nouveau, des garanties nouvelles. En pleine prospérité, on a trouvé moyen d’introduire dans les finances un déficit chronique, permanent et croissant qu’il s’agit aujourd’hui de pallier pour le prochain budget. La magistrature a pu être « épurée, » elle n’a pas été certainement fortifiée ; et depuis des années on est toujours à se demander ce que veulent faire de l’armée les réformateurs radicaux, qui comptent sans doute parmi ces forces républicaines que M. le président du conseil se propose de concentrer. Ce qu’ils veulent faire de l’armée ? Ils la prennent pour un objet d’expérimentation, ils prétendent refaire les institutions militaires de la France avec des