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core l’opinion par de vaines fantasmagories. On en est là pour le moment. Le pays, qui a toujours le dernier mot, dira ce qu’il voudra à ce scrutin vers lequel se tournent désormais tous les yeux, qui s’ouvrira nécessairement d’ici à trois mois. Il est certain que la politique qui a régné depuis quelques années, qui se prépare à demander au suffrage universel une sanction nouvelle, n’a rien de brillant, qu’elle ne peut offrir au pays que ses œuvres, — des affaires extérieures passablement décousues, des affaires financières compromises, des lois de parti dictées par des passions aveugles ou par des calculs de fausse popularité.

Au fond, on ne s’y trompe pas absolument. On sent bien que le mal est assez sérieux, que les intérêts de la France ont été dangereusement engagés, que le crédit de la république et des républicains peut en souffrir. On ne veut pas s’avouer que cette situation, telle qu’elle apparaît à la veille des élections, est justement la conséquence de la politique qu’on a suivie, que le seul moyen de la redresser ou de la raffermir serait un changement de système et de conduite. On croit se tirer d’affaire et donner le change au pays par des subterfuges et des expédiens de tactique, par une proposition de mise en accusation du dernier ministère, comme si le ministère était seul coupable, ou par des appels touchans à la concorde entre républicains, comme sait les imaginer M. le président du conseil. C’est ce qui s’appelle ne remédier à rien et passer à côté de la question. À quoi aurait servi en effet cette mise en accusation qui a été discutée il y a peu de jours et définitivement écartée ? Elle a pu, si l’on veut, se produire il y a deux mois, dans un moment d’émotion et de trouble, sous le coup des douloureux incidens de la retraite de Lang-Son ; elle n’aurait plus été aujourd’hui qu’un moyen de perpétuer une agitation toujours dangereuse après la chute du dernier ministère, après la paix qui parait enfin conclue avec la Chine.

Eh ! sans doute, M. Jules Ferry méritait sa chute par la manière dont il avait conduit toute cette affaire du Tonkin, et même par cette espèce de panique du dernier moment à laquelle il se laissait aller, qu’il contribuait à répandre dans le pays pour un incident de guerre inattendu, mal expliqué. Tout ce qu’on dit dans des actes d’accusation rétrospectifs est malheureusement trop vrai. Il est certain que, depuis le premier moment, M. Bourée tenait son gouvernement au courant de tout avec autant de précision que de clairvoyance, qu’il ne lui laissait ignorer ni les dispositions ni les arméniens du Céleste-Empire, qu’il ne cessait de l’avertir qu’on devait se préparer « à une lutte des plus sérieuses ; » notre agent n’hésitait pas à écrire qu’il ne pouvait se défendre des plus vives appréhensions en voyant qu’on marchait à un conflit inévitable, en mettant en balance ce que coûterait ce conflit et les avantages qu’on en pourrait retirer. Il est certain que lorsque le