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plutôt vers l’Odéon. Là, M. Paul Mounet tout seul fait figure de tragédien : il ne fait guère davantage. Auprès de lui, M. Albert Lambert et M. Chelles sont plutôt des acteurs de drame ; MM. Brémont, Rebel, Cosset, Hattier et les autres font de leur mieux, mais ce mieux n’est guère. Mlle Hadamard, avec des mérites différens, est la Dudlay de l’Odéon ; M"" Barthélémy, Caristie Martel, Antonia Laurent, Baréty, sont des écolières en tragédie : seront-elles jamais couronnées ?

Pour la comédie, le mal n’a pas encore empiré à ce point. Au Théâtre-Français, il reste une tête de troupe ; elle est affaiblie cependant, et voyez ce qui la suit. Pour remplacer tant de merveilleux artistes et pour succéder à ceux qui se retireront demain, qui a paru depuis quelques années ? MM. Truffier, Le Bargy, Baillet, de Féraudy, Leloir ; M. Clerh, qui n’est plus un jeune homme ; M. Samary, qui n’est qu’un enfant. Et, d’autre part, Mlle Bartet, dévouée plutôt à la comédie de mœurs contemporaines et au drame ; Mlles Pierson et Montaland, destinées sans conteste au genre moderne ; Mlles Marsy, Bruck, Müller, Frémaux, Kalb, Amel et Durand : — je crains de n’en pas oublier ! A l’Odéon, derrière M. Cornaglia, un vétéran, et M. Amaury, un jeune premier qui atteint déjà la seconde jeunesse.je ne vois guère à citer que M. Kéraval et peut-être M. Barral ; derrière Mmes Crosnier, Régis et Marie Samary, j’aperçois Mlles Rachel Boyer, Real et Nancy Martel ; le reste ! .. Ah ! je souhaiterais qu’un Hernani, — avec une doña Sol,— sortît des rangs et s’écriât : « Je prétends qu’on me compte ! »

Il n’y a plus de tragédiens ni de tragédiennes ; il n’y a guère de comédiens ni de comédiennes : à qui la faute ? Ne ressassons pas ce reproche qu’on a fait aux directeurs, et notamment à M. Perrin, de ne pas exercer assez leur jeune troupe. On aurait cultivé avec plus de zèle M. Joliet et Mlle Thénard, en aurait-on tiré des fruits merveilleux ? M. Porel, là-bas, qui souffle énergiquement son fourneau, trouve-t-il la pierre philosophale ? Son creuset ne fournira d’or qu’autant qu’il en aura reçu. Qui donc, en fin de compte, accuser de notre détresse ? La nature ? Quelque sot ! Le Conservatoire est le coupable ; et c’est lui que nous dénonçons, ce Conservatoire de déclamation dirigé par un compositeur de musique. Il y a deux ans déjà, nous avons signalé le mal : s’aperçoit-on qu’il est temps d’y porter remède ? Pour ma part, après l’examen que j’ai fait de l’état des classiques, au nom desquels la Comédie-Française et l’Odéon reçoivent un subside, j’en avertis M. le ministre des finances, si le Conservatoire n’est pas prochainement réformé, je refuse l’impôt.


Louis GANDERAX.