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l’homme. Et au-dessous de Corneille, de Racine et de Molière, on se rappelle qu’il y a d’autres classiques, des quarts de dieux et des demi-quarts, entrevus jadis au lycée ou chez les pères, dans des recueils de morceaux choisis, et retrouvés depuis, par la ville, sur les plaques des rues. On se souvient que Voltaire a fait des tragédies, et aussi un certain Crébillon, et avant eux un nommé Rotrou ; on connaît ou l’on croit connaître Beaumarchais, Regnard et Marivaux ; on n’ignore pas que Boursault, Destouches, Dancourt, Le Sage, Gresset, Piron, Sedaine ont existé. Qui encore ? Dufresny ! Oui, ma foi, il y a quelque part une rue Dufresny ; Dufresny, comme les autres, doit avoir sa petite chapelle dans le temple où le maître-autel est occupé par cette trinité : Corneille, Racine, Molière. Les offices de tous ces saints, dictés par eux, forment ensemble un monument sacré : le répertoire classique. Nulle partie n’en est méprisable, nulle sans doute n’est négligée : que dire de la principale, qui se compose des offices de la trinité elle-même, admirés par tout l’univers ? Ceux-ci sont célébrés avec scrupule, avec joie : on est tranquille là-dessus, on a payé pour l’être ; on voit la Comédie-Française, on voit l’Odéon : en passant devant Notre-Dame, qui douterait que la messe y soit dite régulièrement ?

Il est bien vrai que si, l’an dernier, on est entré à la Comédie-Française, on a trouvé le Député de Bombignac, et, cette année, Denise ; de même, à l’Odéon, Severo Tovelli et l’Arlésienne. Mais quoi ! c’est que, par l’attrait de la nouveauté, on a poussé la porte ces jours-là plutôt que d’autres : à l’ordinaire, cependant, ce n’est pas M. Bisson, ni même M. Dumas fils, ce n’est pas M. François Coppée ni M. Alphonse Daudet, qui sont honorés derrière ces portes ; c’est Corneille, Racine, Molière ; on le sait, et il suffit qu’on le sache. Napoléon l’a déclaré : « Le Théâtre-Français est la gloire de la France ; l’Opéra n’en est que la vanité. » La gloire de la France ! pourquoi ce titre ? Parce que c’est là que le génie dramatique, par lequel notre nation excelle entre toutes, se perpétue depuis deux siècles. Il y a cinq ans déjà, cette maison a fêté le deux-centième anniversaire de sa fondation ; elle est, parmi nos institutions publiques, une des plus anciennes et des plus vénérables : un écho y répète, selon l’ordonnance royale du 21 octobre 1680, des paroles inspirées par le plus pur esprit de notre race et disposées par l’art théâtral le plus parfait que le monde ait connu. On est certain que cet écho ne laisse pas tomber ces paroles, on se contente de cette certitude ; en traversant cette place, même sans prêter l’oreille, on est saisi de respect, et l’on n’imagine pas que cette émotion soit une duperie ; on sent que, du haut de ce balcon, quarante chefs-d’œuvre au moins contemplent la foule : ah ! qu’on est fier d’être Français quand on regarde la Comédie !

Cependant, un matin, on a la sur son almanach : 6 juin, naissance de Corneille, « Oh ! oh ! s’est-on dit, voici une fameuse date ! Notre