Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’étude. Mais que de désastres d’autre part ! On devint réaliste, naturaliste, impressionniste, tachiste ! C’est-à-dire qu’on supprimait le dessin sous prétexte qu’il nuisait à l’impression et qu’il risquait de gâter « la tache ; » on supprimait la couleur parce qu’elle s’éloignait trop souvent de la vérité. On descendit jusqu’à la négation de la science ; on en vint à encourager les nullités ; les barbouilleurs les plus infâmes trouvèrent une coterie toute prête à encenser leurs productions, à les absoudre, à les glorifier d’un mot : « Certes, disait-on, cela n’est ni fait ni à faire, — mais comme c’est moderne ! » L’ignorance impudente prit des attitudes inspirées, mit ses espérances dans le hasard et trouva pour défendre les productions dans lesquelles il s’installait en maître un jargon nouveau, pédantesque et ridicule !

Tant de folies ne devaient pas empêcher les artistes attentifs de faire leur profit de cette part de vérité que contiennent toutes les doctrines et que contenait aussi la doctrine nouvelle. Leur patiente recherche marque un progrès véritable dans l’art contemporain et donnera une place dans son histoire au novateur qui, à travers des erreurs sans nombre, se fit le champion obstiné de cette déesse mystérieuse universellement acceptée aujourd’hui et qui s’appelle : « la lumière. »

C’est un hymne en l’honneur de la lumière que le tableau de M. Lerolle : A l’Orgue. A l’encontre de la plupart des titres que l’imagination des artistes leur inspire pour dérouter sans doute les lecteurs consciencieux des catalogues, le titre de M. Lerolle est bien choisi ; il dit ce que l’artiste a voulu peindre ; il est, dans sa brièveté, le commentaire très net du tableau. L’orgue et les musiciens qui l’entourent occupent, il est vrai, dans cette toile de dimensions exceptionnelles une place restreinte, mais le reste de la composition n’est que le complément du groupe qui, à la gauche du tableau, est réuni autour de l’orgue. Un peu en avant de ce groupe, une jeune fille chante isolée ; elle est debout, gracieuse, devant la balustrade, et sa voix, que, par un tour de force d’exécution heureuse, on croit voir sortir de ses lèvres entr’ouvertes, remplit la vaste nef de l’église et s’élève inspirée dans la solitude religieuse et recueillie. Une lumière harmonieuse répand sur l’œuvre entière la mélodie suave des tons clairs. Tout entiers à la musique, les artistes de M. Lerolle oublient le monde, ils n’ont pour l’horizon que l’architecture blanche de la nef, ils ignorent la foule, que l’artiste leur a soigneusement cachée. Il y a dans ce tableau une expression d’apaisement et de calme qui repose l’esprit ; on croit goûter en le voyant la fraîcheur tranquille d’un milieu paisible. On se sent pris d’un goût invincible